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SUR L’ELECTRE DE SOPHOCLE. 479

deux sentiments que lotissaient les pensées sublimes et les expressions énergiques, que nous admirons dans leurs tragédies, et auxquelles nous ne substituons que trop souvent des fadeurs, de jolis riens, et des épigrammes.

Je demande à tout homme raisonnable, dans un sujet aussi terrible que celui de la vengeance de la mort d’Agamemnon, que peut |)ioduire l’amour d’Electre et d’Oreste qui ne soit infiniment au-dessous de l’ait de Sophocle ? 11 est bien question ici de déclarations d’amour, d’intrigues de ruelle, de combats entre l’amour et la vengeance : loin d’élever l’âme, ces faibles ressources ne feraient que l’avilir. Il en est de même de presque tous les grands sujets traités par les Grecs. L’auteur û’ Œdipe convient lui-même ^ et cet aveu lui fait infiniment d’honneur, que l’amour de Jocaste et de l’hiloclète, qu’il n’a introduit que malgré lui, déroge à la grandeur de son sujet. La nouvelle tragédie de Philoclète - n’eût valu que mieux si l’auteur avait évité l’amour de Pyrrhus pour la fille de Philoctète. Le goût du siècle l’a entraîné. Ses talents auraient surmonté la prétendue difficulté de traiter ces sujets sans amour, comme Sophocle.

Mettez de l’amour dans Alhalie et dans Mérope, ces deux pièces ne seront plus des chefs-d’œuvre, parce que l’amour le mieux traité n’a jamais le sérieux, la gravité, le sublime, le terrible, qu’exigent ces sujets. Electre, amoureuse, n’inspire plus cette terreur et cette pitié active des anciens. Inutilement veut-on y suppléer par des épisodes romanesques, par des descriptions déplacées, par des reconnaissances accumulées les unes sur les autres, par des conversations galantes, par des lieux communs de toute espèce, et par des idées gigantesques : on ne fait que défigurer l’art de Sophocle et la beauté du sujet. C’est faire un mauvais roman d’une excellente tragédie ; et comme le style est d’ordinaire analogue aux idées, il devient lâche, boursouflé, barbare. Qu’on dise après cela que, si l’on avait quelque chose à imiter de Sophocle •’, ce ne serait certainement pas son Electre ; qu’on appelle ce prince de la tragédie : Grec lu billard ; il résulte de ces invectives que l’art de Sophocle est inconnu à celui qui lient ce discours, ou qu’il n’a pas daigné travailler assez son sujet pour y parvenir, ou enfin que tous ses efforts ont été inutiles, et qu’il n’a pu y atteindre. Jl semble que le désespoir lui ait suggéré de condamner d’un mot Sophocle et toute la Grèce. Mais Éloclrc. amoureuse du fils d’Kgisthe, assassin de son père, séducteur de sa mère, i)persécuteur d’Oreste, auteur de tous ses malheurs ; Oreste, amoureux de la fille de ce même Égisthe, bourreau de toute sa famille, ravisseur de sa couronne, et qui ne cherche qu’à lui ôter la vie, auraient l’un et l’autre échouC sur le théâtre d’Athènes : ce double amour aurait eu nécessairement le plus mauvais succès. Vainement on aurait dit en faveur du poëte que plus I^lectre est malheureuse, plus elle est aisée à attendrir ; le peuple d’Athènes aurait répondu que plus Oreste et Klectre sont malheureux, moins ils sont susceptibles d’un amour puéril et

1. Voyez VÊptIre dédicatoire d’Oreste, page 81.

2. Par Chàteaiibriin, jouée eu \1.)%.

3. Expressions de CrébiUon dans la préface de son Electre. (B.)