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SUR LA TRAGKDIE D’ORESTE. 181

ments naturels capables d’intéresser : ce défaut leur est commun. Quant aux images, Desmarets ne crayonne que des chimères, et Chapelain, dans son style tudesque, ne dessine rien que d’imparfait et d’estropié ; toutes ses peintures sont des tal)]paux gothiques. De lii vient le seul défaut de la Pucelle^ mais dont il faut, selon M. Despréaux, que ses défenseurs conviennent, le défaut qu’on ne la saurait lire. »

Sans la langue, en un mot, l’auteur le plus divin Est toujours, quoi qu’il fasse, un méchant écrivain.

BoiLEAU, Art poét., I, 161-6’2.

SECONDE PARTIE.

De la tragédie (/’O reste.

Il n’est pas indifférent de remarquer d’abord que, dans tous les sujets que les anciens ont traités, on n’a jamais réussi qu’en imitant leurs beautés. La différence des temps et des lieux ne fait que de très-légers changements, car le vrai et le beau sont de tous les temps et de toutes les nations. La vérité est une, et les anciens l’ont saisie parce qu’ils ne recherchaient que la nature, dont la tragédie est une imitation. Phèdre et Iphigénie en sont des preuves convaincantes. On sait le mauvais succès de ceux qui, en traitant les mômes sujets, ont voulu s’écarter de ces grands modèles. Ils se sont écartés en effet de la nature, et il n’y a de beau que ce qui est naturel. Le décri dans lequel V Œdipe de Corneille est tombé est une bonne preuve de cette vérité. Corneille voulut s’écarter de Sophocle, et il fit un mauvais ouvrage.

11 se présente une autre réflexion non moins utile, c’est que, parmi nous, les vrais imitateurs des anciens se sont toujours remplis de leur esprit au point de se rendre propres leur harmonie et leur élégance continue. La raison en est, à mon gré, qu’ayant sans cesse devant les yeux ces modèles du bon goût et du style soutenu, ils se formaient peu à peu l’habitude d’écrire comme eux, tandis que les autres, sans modèles, sans règles, s’abandonnaient aux écarts d’une imagination déréglée, ou restaient dans leur stérilité.

Ces deux principes posés, je crois ne rien dire que de raisonnable en avançant que l’auteur de la tragédie diOresle a imité Sophocle autant que nos mœurs le lui permettaient ; et, quelque estime que j’aie pour la pièce grecque, je ne crois pas qu’on dût porter l’imitation plus loin.

Il a représenté Electre et son frère toujours occupés de leur douleur et de la vengeance de leur père, et n’étant susceptibles d’aucun autre sentiment. C’est précisément le caractère fjue Sophocle, Eschyle et Euripide leur donnent ; il n’en a retranché que des expressions trop dures selon nos mœurs. Même résolution dans les deux Electre de poignarder le tyran ; même douleur en apprenant la fausse nouvelle de la mort dOreste ; mêmes menaces, mômes emportements dans l’une et dans l’autre ; mômes désirs de vengeance.