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194 CONTRE LES DÉTRACTEURS

Ce même Despréaux aurait-il pu s’oinpèchor de rire lorsque Electre ditk Égislhe (I, VII i) :

Pour cet heureux hymen ma main est toute prête ; Je n’en veux disposer qu’en faveur de ton sang, Et je la donne à qui te percera le flanc ?

Cette équivoque et cette pointe lui aurait paru précisément de la même espèce que celle de Théophile, qu’il relève si bien dans une de ses judicieuses préfaces :

Ah ! voilà ce poignard qui du sang ; de son maître S’est souillé lâchement ; il en rougit, le traître.

^ Les vers de l’auteur à’ Éleclre ne sont pas moins ridicules : en faveur de ton aamj signifie en faveur de Ion fils, et non pas en faveur de Ion sang versé. Cette pointe de Ion sang, et de celui qui répandra ton sang, vaut bien la pointe de Théophile -.

Il est certain qu’un auteur éclairé par de telles critiques aurait retravaillé entièrement son ouvrage, et qu’il aurait surtout mis du naturel à la place du boursouflé. Il n’aurait point fait de ces fautes énormes contre le bon sens et contre la langue ; son censeur lui aurait crié :

Mon esprit n’admet point un pompeux barbarisme, Ni d’un vers ampoulé l’orgueilleux solécisme.

(3n n’aurait point vu un héros « voguer au gré de ses désirs plus qu’au gré des vents ; la foudre ouvrir le ciel et l’onde à sillons redoublés, et bouillonner en source de feu ; de pâles éclairs s’armer de toutes parts ; » un héros « méditer son retour à grands pas ; la suprême sagesse des dieux qui brave la crédule faiblesse des mortels ; un grand cœur qui ne manque à son devoir que pour s’en instruire mieux » ; un interlocuteur qui dit : « Ne pénétrez vous pas un si triste silence ? des remords d’un cœur né vertueux, qui pour punir ce cœur vont plus loin que les dieux ; » une Electre qui dit : « Percez le cœur d’Itys, mais respectez le mien. »

Il n’est que trop vrai, et il faut l’avouer à la honte de notre litté- rature, que dans la plupart de nos auteurs tragiques on trouve rarement six vers de suite qui n’aient de pareils défauts ; et cela, parce qu’ils ont la présomption de ne consulter personne ■\ ou l’indocilité de ne profiter d’aucun avis. Le peu de connaissance qu’ils ont eux-mêmes des langues savantes, de la noble simplicité des anciens, de l’harmonie de la tragédie grecque, les

i. Cet alinéa fut ajoute en 1757. (B.)

’2. La tragédie do Pyrame et Tliisbé^ par Théophile, dont on vient de citer deux vers, fut jouée en 1617, et imprimée en IG’21. (B.)

3. … In Metii desceudat judicis aurcs.

HoK.vT., de Arlc poet, 387.

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