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362 PRÉFACE.

que le sujet de Caton était plus théâtral que l’autre, et surtout plus convenable à sa nation dans un temps de trouble.

En effet, la mort de Socrate aurait fait peu d’impression peut- être dans un pays où l’on ne persécute personne pour sa religion, <^t où la tolérance a si prodigieusement augmenté la population et les richesses, ainsi que dans la Hollande, ma chère patrie. Richard Steele dit expressément, dans le Tatler, « qu’on doit choisir pour le sujet des pièces de théâtre le vice le plus dominant chez la nation pour laquelle on travaille. » Le succès de Caton ayant enhardi Addison, il jeta enfin sur le papier l’esquisse de la Mort de Socrate, en trois actes, La place de secrétaire d’État, qu’il occupa quelque temps après, lui déroba le temps dont il avait besoin pour finir cet ouvrage. Il donna son manuscrit à 31. Thomson, son élève : celui-ci n’osa pas d’abord traiter un sujet si grave et si dénué de tout ce qui est en possession de plaire au théâtre.

Il commença par d’autres tragédies : il donna SopJwnishe, Corlolan, T ancre il c, eXc., et finit sa carrière par la Mort de Socrate, qu’il écrivit en prose, scène par scène, et qu’il confia à ses illustres amis \I, Doddington et M. Littleton, comptés parmi les plus beaux génies d’Angleterre, Ces deux hommes, toujours consultés par lui, voulurent qu’il renouvelât la méthode de Shakespeare, d’introduire des personnages du peuple dans la tragédie ; de peindre Xantippe, femme de Socrate, telle qu’elle était en effet, une bourgeoise acariâtre, grondant son mari, et l’aimant ; de mettre sur la scène tout l’aréopage, et de faire, en un mot, de cette pièce une de ces représentations naïves de la vie humaine, un de ces tableaux €Ù l’on peint toutes les conditions.

Cette entreprise n’est pas sans difficulté ; et, quoique le sublime continu soit d’un -genre infiniment supérieur, cependant ce mélange du pathétique et du familier a son mérite. On peut comparer ce genre à rodijssée, et l’autre à llliade. M. Littleton ne voulut pas qu’on jouât cette pièce, parce que le caractère deMélitus ressemblait trop à celui du sergent de loi Catbrée, dont il était allié. D’ailleurs ce drame était une esquisse plutôt qu’un ouvrage achevé.

Il me donna donc ce drame de M, Thomson, à son dernier voyage en Hollande. Je le traduisis d’abord en hollandais, ma langue maternelle. Cependant je ne le fis point jouer sur le théâtre d’Amsterdam, quoique, Dieu merci, nous n’ayons parmi nos pédants aucun pédant aussi odieux et aussi impertinent que M, Catbrée. Mais la multiplicité des acteurs que ce drame exige