Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome5.djvu/560

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

S50 TANCRÈDE.

AMÉNAÏDE.

Quelles lois ! quelles mœurs indignes et cruelles !

j Sachez qu’en ce moment je suis au-dessus d’elles ;

I Sachez que, dans ce jour d’injustice et d’horreur, Je n’écoute plus rien que la loi de mon cœur. Quoi ! ces affreuses lois, dont le poids vous opprime. Auront pris dans vos hras votre sang pour victime ! Elles auront permis qu’aux yeux des citoyens Votre fille ait paru dans d’infâmes liens. Et ne permettront pas qu’aux champs de la victoire J’accompagne mon père, et défende ma gloire ! „■ — ^t le sexe en ces lieux, conduit aux échafauds, — — fie pourra se montrer qu’au milieu des bourreaux ’ ! — — L’injustice à la fin produit l’indépendance"-.

Vous frémissez, mon père ; ah ! vous deviez frémir Quand, de vos ennemis caressant l’insolence. Au superbe Orbassan vous pûtes vous unir Contre le seul mortel qui prend votre défense. Quand vous m’avez forcée à vous désobéir.

ARGIRE.

Va, c’est trop accabler un père déplorable :

1. Lors de la réaction thermidorienne, on appliquait ces vers à Charlotte Corday, à M"’^ Roland, etc. (G. A.)

2. On a cru reconnaître dans ce vers le sentiment qu’une longue suite d’injustices avait dû produire dans l’âme de l’auteur ; comme dans ceux-ci :

Proscrit dès le berceau, nourri dans le malheur, Moi toujours éprouvé, moi, qui suis mon ouvrage. Qui d’États en États ai porté mon courage, Qui partout de l’envie ai senti la fureur, Depuis que je suis né, j’ai vu la calomnie Exhaler les venins de sa bouche impunie, Chez les républicains comme à la cour des rois.

On a cru reconnaître encore le sentiment d’un grand homme qui, après avoir été prive de la liberté dans sa jeunesse pour dos vers qu’il n’avait point faits, forcé d’aller chercher en Angleterre un abri contre la haine des bigots, d’aller oublier à Berlin les cabales des gens de lettres, et la haine que les gens en place portent sourdement à tout homme supérieur, avait été ensuite obligé de quitter Berlin par les intrigues d’un géomètre médiocre, jaloux d’un grand poëte, et retrouvait à Genève les monstres qui l’avaient persécuté à Paris et à Berlin, la Superstition et l’Envie.

Remarquons ici que c’est vraisemblablement au goût de Voltaire pour l’Ariostc que nous devons Tancrède. Il était impossible qu’un aussi grand artiste ne vît dans l’histoire d’Ariodant et de Genèvre un bloc précieux d’où devait sortir une belle tragédie. C’est une des pièces du théâtre français qui font le plus d’effet à la représentation, et peut-être celle do toutes où l’on trouve un plus grand nombre de vers de situation et d’une sensibilité profonde et passionnée. (K.)