Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome6.djvu/126

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Ne respectez ici que ma douleur profonde.
Des grandeurs d’ici-bas voyez quel est le sort.
Ce qu’éprouva mon père au moment de sa mort,
Dans Babylone en sang je l’éprouvai de même.
Darius, roi des rois, privé du diadème,
Fuyant dans des déserts, errant, abandonné,
Par ses propres amis se vit assassiné ;
Un étranger, un pauvre, un rebut de la terre,
De ses derniers moments soulagea la misère.


Montrant la prêtresse inférieure.

Voyez-vous cette femme étrangère en ma cour ?
Sa main, sa seule main m’a conservé le jour ;
Seule elle me tira de la foule sanglante
Où mes lâches amis me laissaient expirante.
Elle est Éphésienne, elle guida mes pas
Dans cet auguste asile, au bout de mes États.
Je vis par mille mains ma dépouille arrachée,
De mourants et de morts la campagne jonchée ;
Les soldats d’Alexandre érigés tous en rois,
Et les larcins publics appelés grands exploits.
J’eus en horreur le monde et les maux qu’il enfante,
Loin de lui pour jamais je m’enterrai vivante.
Je pleure, je l’avoue, une fille, une enfant
Arrachée à mes bras sur mon corps tout sanglant.
Cette étrangère ici me tient lieu de famille.
J’ai perdu Darius, Alexandre, et ma fille ;
Dieu seul me reste[1].

L’Hiérophante

Hélas ! Qu’il soit donc votre appui !
Du trône où vous étiez vous montez jusqu’à lui ;
Son temple est votre cour : soyez-y plus heureuse
Que dans cette grandeur auguste et dangereuse,
Sur ce trône terrible, et par vous oublié,
Devenu pour la terre un objet de pitié.


Statira

Ce temple quelquefois, seigneur, m’a consolée ;
Mais vous devez sentir l’horreur qui m’a troublée
En voyant que Cassandre y parle aux mêmes dieux,
Contre sa tête impie implorés par mes vœux.

  1. « C’est Statira qui est le grand rôle, écrivait Voltaire : ah ! comme nous pleurions ces vers. »