Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome6.djvu/47

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Laissez pour nous les filles du village.

LE CHEVALIER.

Vraiment Dormène est un très-doux partage,
C’est très-bien dit. Je crois que j’eus un jour,
S’il m’en souvient, pour elle un peu d’amour ;
Mais, entre nous, elle sent trop sa dame ;
On ne pourrait en faire que sa femme.
Elle est bien pauvre, et je le suis aussi ;
Et pour l’hymen j’ai fort peu de souci.
Mon cher Champagne, il me faut une Acanthe ;
Cette conquête est beaucoup plus plaisante :
Oui, cette Acanthe aujourd’hui m’a piqué.
Je me sentis, l’an passé, provoqué
Par ses refus, par sa petite mine.
J’aime à dompter cette pudeur mutine.
J’ai deux coquins, qui font trois avec toi,
Déterminés, alertes comme moi ;
Nous tiendrons prêt à cent pas un carrosse.
Et nous fondrons tous quatre sur la noce.
Cela sera plaisant ; j’en ris déjà.

CHAMPAGNE.

Mais croyez-vous que monseigneur rira ?

LE CHEVALIER.

Il faudra bien qu’il rie, et que Dormène
En rie encor, quoique prude et hautaine,
Et je prétends que Laure en rie aussi.
Je viens de voir, à cinq cents pas d’ici,
Dormène et Laure, en très-mince équipage.
Qui s’en allaient vers le prochain village.
Chez quelque vieille : il faut prendre ce temps.

CHAMPAGNE.

C’est bien pensé ; mais vos déportements
Sont dangereux, je crois, pour ma personne.

LE CHEVALIER.

Bon ! l’on se fâche, on s’apaise, on pardonne.
Tous les gens gais ont le don merveilleux
De mettre en train tous les gens sérieux.

CHAMPAGNE.

Fort bien.

LE CHEVALIER.

Fort bien.L’esprit le plus atrabilaire
Est subjugué quand on cherche à lui plaire.