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500 DISCOURS HISTORIQUE ET CRITIQUE.

divins : il ne s’agit ici que d’luiinanité. Deux simples officiers, pleins d’honneur et de générosité, veulent arracher une fille innocente à la fureur de quelques prêtres païens. Point de prodiges, point d’oracle, point d’ordre des dieux ; la seule nature parle dans la pièce. Peut-être ne va-t-on pas loin quand on n’est pas soutenu par le merveilleux ; mais enfin la morale de cette tragédie est si pure et si touchante qu’elle a trouvé grâce devant tous les esprits bien faits.

Si ([ueique ouvrage de théâtre pouvait contribuer à la félicité publi(|ue par des maximes sages et vertueuses, on convient que c’est celui-ci. Il n’y a point de souverain à qui la terre entière n’applaudit avec transport, si on lui entendait dire :

Je pense en citoyen ; j’agis en empereur ^ : Je hais le fanatique et le persécuteur.

Tout l’esprit de la pièce est dans ces deux vers ; tout y conspire à rendre les mœurs plus douces, les peuples plus sages, les souverains plus compatissants, la religion plus conforme à la volonté divine.

On nous a mandé que des hommes ennemis des arts, et plus encore de la saine morale, cabalaient en secret contre cet ouvrage utile ; ils ont prétendu, dit-on, qu’on pouvait appliquera quelques pontifes, à quelques prêtres modernes, ce qu’on dit des anciens prêtres d’Apamée. Nous ne pouvons croire qu’on ose hasarder, dans un siècle tel que le nôtre, des allusions si fausses et si ridicules. S’il y a peu de génie dans ce siècle, il faut avouer du moins qu’il y règne une raison très-cultivée. Les honnêtes gens ne souffrent plus ces allusions malignes, ces interprétations forcées, cette fureur de voir dans un ouvrage ce qui n’y est pas. On employa cet indigne artifice contre le Tariufje de Molière ; il ne prévalut pas : prévaudrait-il aujourd’hui ?

Quelques figuristes, dit-on, prétendent que les prêtres d’Apamée sont les jésuites Le Tellier et Doucin ; qu’Arzame est une religieuse de Port-Royal ; que les Guèbres sont les jansénistes. Cette idée est folle ; mais, quand même on pourrait la couvrir de quelque apparence de raison, qu’en résulterait-il ? que les jésuites ont été quelque temps des persécuteurs, des ennemis de la paix publique, qu’ils ont fait languir et mourir par lettres de cachet dans des prisons plus de cinq cents citoyens pour je ne sais quelle

■ \. Les Guèhres, acte V, scène vi.