Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome7.djvu/186

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Jaloux d’un vain honneur, mais qu’on peut partager,
Ils n’ont choisi des rois que pour les outrager[1].

Dictime.

Ce trône a ses périls ; je les connais sans doute ;
Je les ai vus de près ; je sais ce qu’il en coûte.
J’aimais Idoménée ; il mourut exilé
En pleurant sur un fils par lui-même immolé[2] :
Par le sang de ce fils il crut plaire à la Crète ;
Mais comment subjuguer la fureur inquiète
De ce peuple inconstant, orageux, égaré,
Vive image des mers dont il est entouré ?
Ses flots sont élevés, mais c’est contre le trône ;
Une sombre tempête en tout temps l’environne,
Le sort vous a réduit à combattre à la fois
Les durs cydoniens et vos jaloux crétois,
Les uns dans les conseils, les autres par les armes ;
Et chaque instant pour vous redouble nos alarmes :
Hélas ! Des meilleurs rois c’est souvent le destin ;
Leurs pénibles travaux se succèdent sans fin :
Mais que votre pitié pour cette infortunée,
Par le cruel Pharès à mourir condamnée,
N’ait pas, à votre exemple, attendri tous les cœurs ;
Que ce saint homicide ait des approbateurs ;
Qu’on ait justifié cet usage exécrable ;
C’est là ce qui m’étonne, et cette horreur m’accable.

Teucer.

Que veux-tu ? Ces guerriers sous les armes blanchis,
Vieux superstitieux aux meurtres endurcis,
Destructeurs des remparts où l’on gardait Hélène,

  1. Il ne faut pas s’imaginer qu’il y eût en Grèce un seul roi despotique. La tyrannie asiatique était en horreur ; ils étaient les premiers magistrats, comme encore aujourd’hui, vers le septentrion, nous voyons plusieurs monarques assujettis aux lois de leur république. Ou trouve une grande preuve de cette vérité dans l’Œdipe de Sophocle ; quand Œdipe, en colère contre Créon, crie : « Thèbes ! » Créon dit : « Thèbes, il m’est permis, comme à vous, de crier : Thèbes ! Thèbes ! » Et il ajoute « qu’il serait bien fâché d’être roi ; que sa condition est beaucoup meilleure que celle d’un monarque ; qu’il est plus libre, et plus heureux ». Vous verrez les menues sentiments dans l’Électre d’Euripide, dans les Suppliantes, et dans presque toutes les tragédies grecques. Leurs auteurs étaient les interprètes des opinions et des mœurs de toute la nation. (Note de Voltaire.)
  2. Le parricide consacré d’ldoménée en Crète n’est pas le premier exemple de ces sacrifi}ces abominables qui ont souillé autrefois presque toute la terre. Voyez les notes suivantes. (Note de Voltaire.)