Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome7.djvu/207

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À ce remède affreux faut-il m’abandonner ?
Faut-il perdre l’état pour le mieux gouverner ?
Je veux sauver les jours d’une jeune barbare ;
Du sang des citoyens serai-je moins avare ?
Il le faut avouer, je suis bien malheureux !
N’ai-je donc des sujets que pour m’armer contre eux ?
Pilote environné d’un éternel orage,
Ne pourrai-je obtenir qu’un illustre naufrage ?
Ah ! Je ne suis pas roi si je ne fais le bien.

Dictime.

Quoi donc ! Contre les lois la vertu ne peut rien !
Le préjugé fait tout ! Pharès impitoyable
Maintiendra malgré vous cette loi détestable !
Il domine au sénat ! On ne veut désormais
Ni d’offres de rançon, ni d’accord, ni de paix !

Teucer.

Quel que soit son pouvoir, et l’orgueil qui l’anime,
Va, le cruel du moins n’aura point sa victime ;
Va, dans ces mêmes lieux, profanés si longtemps,
J’arracherai leur proie à ces monstres sanglants.

Dictime.

Puissiez-vous accomplir cette sainte entreprise !

Teucer.

Il faut bien qu’à la fin le ciel la favorise.
Et lorsque les crétois, un jour plus éclairés,
Auront enfin détruit ces attentats sacrés
(Car il faut les détruire, et j’en aurai la gloire),
Mon nom, respecté d’eux, vivra dans la mémoire.

Dictime.

La gloire vient trop tard, et c’est un triste sort.
Qui n’est de ses bienfaits payé qu’après la mort,
Obtînt-il des autels, est encor trop à plaindre.

Teucer.

Je connais, cher ami, tout ce que je dois craindre ;
Mais il faut bien me rendre à l’ascendant vainqueur
Qui parle en sa défense, et domine en mon cœur.
Gardes, qu’en ma présence à l’instant on conduise
Cette cydonienne, entre nos mains remise.

(Les gardes sortent.)

Je prétends lui parler avant que, dans ce jour,
On ose l’arracher du fond de cette tour,
Et la rendre au cruel armé pour son supplice,