Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome7.djvu/215

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Et les fronts de béliers égorgés et sanglants
Sont de ces murs sacrés les honteux ornements :
Ces nuages d’encens, qu’on prodigue à toute heure,
N’ont point purifié son infecte demeure.
Que tous ces monuments, si vantés, si chéris,
Quand on les voit de près, inspirent de mépris !

Un Cydonien.

Cher Datame, est-il vrai qu’en ces pourpris funestes
On n’offre que du sang aux puissances célestes ?
Est-il vrai que ces grecs, en tous lieux renommés,
Ont immolé des grecs aux dieux qu’ils ont formés ?
La nature à ce point serait-elle égarée ?

Datame.

À des flots d’imposteurs on dit qu’elle est livrée,
Qu’elle n’est plus la même, et qu’elle a corrompu
Ce doux présent des dieux, l’instinct de la vertu :
C’est en nous qu’il réside, il soutient nos courages :
Nous n’avons point de temple en nos déserts sauvages ;
Mais nous servons le ciel, et ne l’outrageons pas
Par des vœux criminels et des assassinats.
Puissions-nous fuir bientôt cette terre cruelle,
Délivrer Astérie, et partir avec elle !

Le Cydonien.

Rendons tous les captifs entre nos mains tombés,

    par toute la terre connue, excepté dans les Indes et dans les pays au delà du Gange. C’est ce qui fait dire à un célèbre poëte anglais :
    The priests eat roast beef, and the people stare.
    Les prêtres sont à table, et le sot peuple admire.
    On ne voyait dans le temple que des étaux, des broches, des grils, des couteaux de cuisine, des écumoires, de longues fourchettes de fer, des cuillers ou des cuillères à pot, de grandes jarres pour mettre la graisse, et tout ce qui peut inspirer le dégoût et l’horreur. Rien ne contribuait plus à perpétuer cette dureté et cette atrocité de mœurs qui porta enfin les hommes à sacrifier d’autres hommes, et jusqu’à leurs propres enfants ; mais les sacrifices de l’Inquisition, dont nous avons tant parlé, ont été cent fois plus abominables. Nous avons substitué les bourreaux aux bouchers.
    Au reste, de toutes les grosses masse appelées temple en Égypte et à Babylone, et du fameux temple d’Éphèse, regardé comme la merveille des temples, aucun ne peut-être comparé en rien à Saint-Pierre de Rome, pas même à Saint-Paul de Londres, pas même à Sainte-Geneviève de Paris, que bâtit aujourd’hui M. Sufflot, et auquel il destine un dôme plus svelte que celui de Saint-Pierre, et d’un artifice admirable. Si les anciennes nations revenaient au monde, elles préféreraient sans doute les belles musiques de nos églises à des boucheries, et les sermons de Tillotson et de Massillon à des augures (Note de Voltaire.)