Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome7.djvu/223

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Dictime.

Malheureux ! Accordons, seigneur, à sa vieillesse
Ce vain soulagement qu’exige sa faiblesse.

Teucer.

Ah ! Quand mes yeux ont vu, dans l’horreur des combats,
Mon épouse et ma fille expirer dans mes bras,
Les consolations, dans ce moment terrible,
Ne descendirent point dans mon âme sensible ;
Je n’en avais cherché que dans mes vains projets
D’éclairer les humains, d’adoucir mes sujets,
Et de civiliser l’agreste Cydonie :
Du ciel qui conduit tout la sagesse infinie
Réserve, je le vois, pour de plus heureux temps
Le jour trop différé de ces grands changements.
Le monde avec lenteur marche vers la sagesse[1],
Et la nuit des erreurs est encor sur la Grèce.
Que je vous porte envie, ô rois trop fortunés,
Vous qui faites le bien dès que vous l’ordonnez !
Rien ne peut captiver votre main bienfaisante,
Vous n’avez qu’à parler, et la terre est contente.


fin du troisième acte.

  1. À ne juger que par les apparences, et suivant les faibles conjectures humaines, par quelle multitude épouvantable de siècles et de révolutions n’a-t-il pas fallu passer avant que nous eussions un langage tolérable, une nourriture facile, des vêtements et des logements commodes ! Nous sommes d’hier, et l’Amérique est de ce matin.
    Notre occident n’a aucun monument antique : et que sont ceux de la Syrie, de
    l’Égypte, des Indes, de la Chine ? Toutes ces ruines se sont élevées sur d’autres
    ruines. Il est très-vraisemblable que l’île Atlantide (dont les îles Canaries sont des
    restes), étant engloutie dans l’Océan, fit refluer les eaux vers la Grèce, et que
    vingt déluges locaux détruisirent tout vingt fois avant que nous existassions.
    Nous sommes des fourmis qu’on écrase sans cesse, et qui se renouvellent ; et pour
    que ces fourmis rebâtissent leurs habitations, et pour qu’elles inventent quelque
    chose qui ressemble à une police et à une morale, que de siècles de barbarie !
    Que le province n’a pas ses sauvages !
    Tout philosophe peut dire :
    In qua scribeham barbara torra fuit.
    Ovid., Trist., livre III, élég. 1, vers 18.
    (Note de Voltaire.)