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318 AVERTISSEMENT.

assez tlu’àtral. ^lais où mon gros abbé Mignot a-t-il pOclic que le style est dans le goût de Sémiramis et de Maliomet ? Je vous jure qu’il n’en est rien. Je ne le crois pas rampant, mais je le crois beaucoup plus approchant du naïf que du sublime : c’est un combat éternel de l’amour et de la vertu. Le fond de l’étoffe est agréable ; mais elle ne peut pas être nuancée. »

Pendant qu’il est en Irain de remplir ce canevas, un autre projet de tragédie séduit son imagination. « Vous croyez, écrit-il à d’Argental le 4 février 1777, vous croyez, vous et M. de Thibouville, que je ne vous ai invités qu’à un petit souper de trois services ; il faut que je vous avoue que j’en prépare un autre de cinq (il s’agit d’Agalhocle). Le rôti est déjà à la broche, mais le menu m’embarrasse. Je crains bien de n’être qu’un vieux cuisinier dont le goût est absolument dépravé. Vous êtes le plus indulgent des convives ; mais il va tant de gens qui s’empressent à vous donner à souper, j’ai tant de rivaux qui me traiteront de gargotier, que je tremble de vous donner mes deux repas. Je vois évidemment qu’il faut remettre "cette partie à une saison plus favorable. Il suffirait qu’il y eût un ragoût manqué pour que tout le monde, jusqu’aux valets de l’auberge, me traitât de vieil empoisonneur. Il viendra peut-être un temps où l’on aura plus d’indulgence. »

D’Agalhocle Voltaire revient à Irène, ai à force d’envisager le sujet sous toutes ses faces, il trouve le moyen de lui donner les cinq actes sans lesquels une tragédie « a l’air d’un drame de M. Mercier ». Il s’enthousiasme pour son Alexis, ainsi qu’il nomme encore sa pièce. « On dit (\vi ! Alexis est ce que j’ai fait de moins indigne de vous. Si on ne me trompe pas, si cela déchire l’âme d’un bout à l’autre, comme on me l’assure, c’est donc pour Alexis (jue je vous implore ; c’est ma dernière volonté, c’est mon testament… Agalhocle pourra un jour paraître et être souffert en faveur de son frère Alexis ; mais à présent, mes chers anges, il n’y a qu’Alexis qui puisse me procurer le bonheur de venir passer quelques jours avec vous, de vous serrer dans mes bras, et de pouvoir m’y consoler (23 octobre 1777). »

Irène fut reçue à l’unanimité par la Comédie-Française le 2 janvier 1778. La distribution des rôles ne se fit pas sans difficulté. Voltaire aurait souhaité que Lekain se chargeât du rôle de l’ermite Léonce, « qui n’a pas de ces passions qui ruinent la poitrine «.Lekain le refusait, à la grande indignation des amis de Voltaire. La mort vint trancher ce débat. Le grand tragédien, âgé de cinquante ans, tomba malade le 24 janvier et mourut le 8 février.

Deux jours après, Voltaire entrait à Paris. Depuis longtemps il comptait sur un succès au théâtre pour expliquer et motiver ce voyage. Irène lui parut propre à fournir l’occasion souhaitée. L’avènement d’un nouveau monarque était d’ailleurs une circonstance favorable. Ce n’est pas ici le lieu de tracer l’histoire de ce retour quasi triomphal. « Voltaire, retiré en Suisse depuis plus de vingt ans, n’avait pas créé seulement Ferney et Versoix, dit Sainte-Beuve, il avait fait Paris à son image, et il l’avait fait de loin. Ce n’est pas le résultat le moins singulier de cette merveilleuse existence. » Nous nous attacherons spécialement à ce qui concerne Irène, que l’auteur, suivant le précepte de Boileau, ne cessait de corriger.

Recevant une députation de la Comédie-Française le 14 février, il faisait