44i JULES CÉSAR.
CASSILS.
Bnitus, depuis un temps je ne vois plus en vous Cette affabilité, ces marques de tendresse, Dont vous flattiez jadis ma sensible amitié.
BULTUS.
^ous vous êtes trompé : quelques ennuis secrets, Des chagrins peu connus, ont changé mon visage ; Ils me regardent seul, et non pas mes amis. Non, n’imaginez point que Brutus vous néglige ; Plaignez plutôt Brutus en guerre avec lui-même ; J’ai l’air indifférent, mais mon cœur ne l’est pas.
CASSIUS.
Cet air sévère et triste, où je m’étais mépris.
M’a souvent avec vous imposé le silence.
Mais, parle-moi, Brutus ; peux-tu voir ton visage ?
BRUTUS.
Non, l’œil ne peut se voir, à moins qu’un autre objet ’ Ne réfléchisse en lui les traits de son image.
CASSIUS.
Oui, vous avez raison : que n’avez-vous, Brutus, Un fidèle miroir qui vous peigne à vous-même. Qui déploie à vos yeux vos mérites cachés, Qui vous montre votre ombre ! Apprenez, apprenez Que les premiers de Rome ont les mêmes pensées ; Tous disent, en plaignant ce siècle infortuné : Ah ! si du moins Brutus pouvait avoir des yeux !
BRUTUS.
A quel écueil étrange oses-tu me conduire ?
Et pourquoi prétends-tu que, me voyant moi-même,
J’y trouve des vertus que le ciel me refuse ?
CASSIUS.
Écoute, cher Brutus, avec attention. Tu ne saurais te voir que par réflexion. Supposons qu’un miroir puisse avec modestie ïe montrer quelques traits à toi-même inconnus ; Pardonne : tu le sais, je ne suis point flatteur ; Je ne fatigue point par d’indignes serments D’infidèles amis qu’en secret je méprise ;
1. Rien n’est plus naturel que le fond de coKi ; scène, rien n’est même plus adroit. Mais comment peut-on exprimer un sentiment si naturel et si vrai par des tours qui le sont si peu ? C’est que le goût n’était pas formé. [Note de Voltaire.)