Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome7.djvu/537

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TUOISIÈ.ME JOURNÉE, o27

A S TOI. PUE, à Ht’iaclius.

Je rends grâce au ciel qui t’a délivré de la mer,

FRÉDÉRIC,

Par (juel prodige ces deux créatures, au milieu des algues marines, des vents, des flots, et du limon, au lieu d’être couverts <r écailles, sont-ils couverts de ])oil ? Qui êtes-vous ?

ASTOLPHE,

Deux hommes si infortunés que le destin, qui voulait nous donner la mort, n’a pu en venir à bout,

HÉRACLIUS,

Nous sommes les enfants des rochers ; la mer n’a pu nous souffrir, et nous rend à d’autres rochers. Si vous êtes des soldats de Pliocas, usez contre nous du pouvoir que vous donne la fortune ; ce serait une cruauté d’avoir pitié de nous : et afin que vous soyez obligés de nous ôter cette malheureuse vie, sachez que je suis le fils de Maurice. Ce vieillard, que sa fidélité a banni si longtemps de la cour, m’a sauvé deux fois la vie sur la terre et sur la mer. C’est le généreux Astolphe^ Je vous conjure, en me donnant la mort, d’épargner le peu de jours qui lui restent. Je me jette à vos pieds ; accordez-moi la mort que j’implore : pourquoi hésitez-vous ? pourquoi refusez-vous de finir mes tourments ?

FRÉDÉRIC.

Pour te tendre les bras. Ce que tu m’as dit attendrit tellement mon âme que je sauverais ta vie aux dépens de la mienne. Il est l)eut-être étrange que je te croie avec tant de facilité ; mais je sens une cause supérieure qui m’y force. Le ciel parait ici manifester sa justice, et la vertu de ce noble vieillard que je respecte et que j’embrasse.

HÉRACLIUS ET ASTOLPHE.

Eh ! qui es-tu donc ? parle.

FRÉDÉRIC.

Je suis le duc de Calabre. Vous me voyez comblé de joie. Le sang qui coule dans mes veines, ô fils de Maurice ! est ton sang. Je suis le fils de Cassandre, sœur de Maurice : tes destins sont conformes aux miens, ton étoile est mon étoile.

1. Le fond de cette scène paraît intéressant et admirable : on aurait pn en faire un chef-d’œuvre, en y mettant plus de vraisemblance et de convenance. Il me semble qu’une telle scène donnerait l’idée de la vraie tragédie, c’est-à-dire d’une péripétie attendrissante, toute en action, sans aucun embarras, sans le froid recours des lettres écrites longtemps auparavant, sans rien de forcé, sans aucun de ces raisonnements alambiqués qui font languir le tragique. {Note de Voltaire.)