Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome8.djvu/139

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J’ai nagé dans le sang ; que le sang coule encore
Montrez-vous, inspirez ce peuple qui m’adore !
Le monstre au même instant donne à tous le signal ;
Tous sont empoisonnés de son venin fatal ;
Il conduit dans Paris leur marche solennelle ;
L’étendard[1] de la croix flottait au milieu d’elle.
Ils chantent ; et leurs cris, dévots et furieux,
Semblent à leur révolte associer les cieux.
On les entend mêler, dans leurs vœux fanatiques,
Les imprécations aux prières publiques.
Prêtres audacieux, imbéciles soldats,
Du sabre et de l’épée ils ont chargé leurs bras ;
Une lourde cuirasse a couvert leur cilice.
Dans les murs de Paris cette infâme milice
Suit, au milieu des flots d’un peuple impétueux,
Le Dieu, ce Dieu de paix, qu’on porte devant eux.
Mayenne, qui de loin voit leur folle entreprise,
La méprise en secret, et tout haut l’autorise ;
Il sait combien le peuple, avec soumission,
Confond le fanatisme et la religion ;
Il connaît ce grand art, aux princes nécessaire,
De nourrir la faiblesse et l’erreur du vulgaire.
À ce pieux scandale enfin il applaudit ;
Le sage s’en indigne, et le soldat en rit.
Mais le peuple excité jusques aux cieux envoie
Des cris d’emportement, d’espérance, et de joie ;

  1. Dès que Henri III et le roi de Navarre parurent en armes devant Paris, la plupart des moines endossèrent la cuirasse, et firent la garde avec les bourgeois. Cependant cet endroit du poëme désigne la procession de la Ligue, où douze cents moines armés firent la revue dans Paris, ayant Guillaume Rose, évêque de Senlis, à leur tête. (Note de Voltaire, 1723.) On a placé ici ce fait, quoiqu'il ne soit arrivé qu'après la mort de Henri III. (Id., 1730.)

    — Au lieu de la phrase qui termine cette note, on lit dans l'édition de 1723 : « Cette procession extravagante, que l'on appela à Paris la Drôlerie, se fit en 1590. Ce fut à cette belle cérémonie qu'un moine, qui avait malheureusement un mousquet chargé à balles, tua un aumônier du cardinal Caïetan, dans le carrosse de ce légat, qui s'était arrêté au bout du pont Notre-Dame pour voir passer cette mascarade. L'auteur du Catholicon a transporté cette procession en 1593, aux états de la Ligue; et par la même liberté on la place, dans ce poëme, sous Henri III, en 1589, selon la règle qui veut qu'un poète épique, dans l'arrangement des événements, ait plus d'égard à l'ordonnance de son dessein qu'à l'exacte vérité de l'histoire. » (B.)