Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome8.djvu/270

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Une femme avait vu, par ces cœurs inhumains,
Un reste d’aliment arraché de ses mains.
Des biens que lui ravit la fortune cruelle,
Un enfant lui restait, prêt à périr comme elle :
Furieuse, elle approche, avec un coutelas,
De ce fils innocent qui lui tendait les bras :
Son enfance, sa voix, sa misère, et ses charmes,
À sa mère en fureur arrachent mille larmes ;
Elle tourne sur lui son visage effrayé,
Plein d’amour, de regret, de rage, de pitié ;
Trois fois le fer échappe à sa main défaillante.
La rage enfin l’emporte ; et, d’une voix tremblante,
Détestant son hymen et sa fécondité :
« Cher et malheureux fils que mes flancs ont porté,
Dit-elle, c’est en vain que tu reçus la vie ;
Les tyrans ou la faim l’auraient bientôt ravie.
Et pourquoi vivrais-tu ? Pour aller dans Paris,
Errant et malheureux, pleurer sur ses débris ?
Meurs, avant de sentir mes maux et ta misère ;
Rends-moi le jour, le sang, que t’a donné ta mère[1]
Que mon sein malheureux te serve de tombeau,
Et que Paris du moins voie un crime nouveau. »
En achevant ces mots, furieuse, égarée,
Dans les flancs de son fils sa main désespérée
Enfonce, en frémissant, le parricide acier,
Porte le corps sanglant auprès de son foyer,
Et, d’un bras que poussait sa faim impitoyable,
Prépare avidement ce repas effroyable.
Attirés par la faim, les farouches soldats
Dans ces coupables lieux reviennent sur leurs pas :
Leur transport est semblable à la cruelle joie
Des ours et des lions qui fondent sur leur proie ;
À l’envi l’un de l’autre ils courent en fureur,
Ils enfoncent la porte. Ô surprise ! ô terreur !
Près d’un corps tout sanglant à leurs yeux se présente
Une femme égarée, et de sang dégouttante.
« Oui, c’est mon propre fils, oui, monstres inhumains,
C’est vous qui dans son sang avez trempé mes mains ;

  1. Dans l’Iphigénie de Racine, acte IV, scène iv, on lit :
    Vous rendre tout le sang que vous m'avez donné.