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PROCÈS CRIMINEL DE RAVAILLAC.

Arrêt de mort prononcé par le greffier, qui l’a prévenu (Fr. Ravaillac) que, pour révélation de ses complices, sera appliqué à la question ; et, le serment de lui pris, a été exhorté de prévenir le tourment, et s’en rédimer par la reconnaissance de la vérité, qui l’avait induit, persuadé et fortifié à ce méchant acte, à qui il en avait communiqué et conféré ;

A dit que, par la damnation de son âme, il n’y a eu homme, femme, ni autre que lui qui l’ait su. Appliqué à la question, a persisté, etc...



ÉTAT DES RECHERCHES HISTORIQUES.


(1877.)


Les recherches, plus approfondies depuis Voltaire, n’ont fait que confirmer son jugement. Qu’est-ce que Ravaillac ? D’où vient ce sombre personnage qui, d’un coup de couteau, osa mettre fin au règne le plus réparateur et le plus fécond peut-être qu’il y ait dans l’histoire moderne ? Car, il n’y a pas à le méconnaître, quoique Henri IV n’eût qu’ébauché son œuvre, la France, à sa mort, diffère complètement de ce qu’elle était à son avènement au trône. Un grand progrès s’était fait en quelques années dans l’esprit public. Le jour même du crime de Ravaillac, les deux anciens chefs de la Ligue, Mayenne et le jeune duc de Guise, pressèrent la reine de maintenir les édits de pacification. Le dimanche qui suivit, 16 mai 1610, le peuple des faubourgs, le redoutable peuple des Seize, protégea les calvinistes se rendant au prêche à Charenton. Dans la plupart des paroisses et églises de Paris, les curés et docteurs catholiques, dit L’Estoile, prêchèrent l’union et la concorde avec les réformés. Il en fut de même par toute la France. « Les catholiques, continue L’Estoile, dans les villes où ils se trouvaient les plus forts, prenaient les huguenots sous leur protection, comme aussi faisaient les huguenots dans les villes où ils se trouvaient les maîtres. Ils se juraient les uns aux autres une inviolable fidélité et se promettaient un mutuel secours. » Un apaisement sensible s’était opéré, que rendirent plus sensible alors l’impression immense de la perte commune et le sentiment d’un commun péril.

C’était l’idée de tolérance qui s’imposait à la nation. Mais le prince auquel était dû cet important résultat périssait martyr de cette idée. Les grandes nouveautés morales, brisant les anciens courants, heurtant les anciennes passions, tuent presque toujours ceux qui les représentent d’abord. Tout principe rénovateur qui s’introduit dans le monde paye comme une dette de sang.

Des profondeurs de la foule surgit un homme obscur qui proteste par le meurtre contre la tendance générale, contre le mouvement de l’opinion. Ou’est-ce que cet homme encore une fois ? A-t-il derrière lui de nombreux complices ? Est-il l’agent de machinations ténébreuses ? Ou bien son crime est-il tout spontané, tout personnel ? Observons-le attentivement. La réponse se fera d’elle-même.