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ESSAI SUR LA POÉSIE ÉPIQUE.

lu Homère ; c’est dans le grec seul qu’on peut voir le style du poëte, plein de négligences extrêmes, mais jamais affecté, et paré de l’harmonie naturelle de la plus belle langue qu’aient jamais parlée les hommes. Enfin on verra Homère lui-même, qu’on trouvera, comme ses héros, tout plein de défauts, mais sublime[1]. Malheur à qui l’imiterait dans l’économie de son poëme ! heureux qui peindrait les détails comme lui ! et c’est précisément par ces détails que la poésie charme les hommes.


CHAPITRE III.
VIRGILE[2].

Il ne faut avoir aucun égard à la Vie de Virgile, qu’on trouve à la tête de plusieurs éditions des ouvrages de ce grand homme ; elle est pleine de puérilités et de contes ridicules. On y représente Virgile comme une espèce de maquignon et de faiseur de prédictions, qui devine qu’un poulain qu’on avait envoyé à Auguste était né d’une jument malade ; et qui, étant interrogé sur le secret de la naissance de l’empereur, répond qu’Auguste était fils d’un boulanger, parce qu’il n’avait été jusque-là récompensé de l’empereur qu’en rations de pain. Je ne sais par quelle fatalité la mémoire des grands hommes est presque toujours défigurée par des contes insipides. Tenons-nous-en à ce que nous savons certainement de Virgile. Il naquit l’an 684 de la fondation de Rome, dans le village d’Andez, à une lieue de Mantoue, sous le premier consulat du grand Pompée et de Crassus. Les ides d’octobre, qui étaient le 15 de ce mois, devinrent à jamais fameuses par sa naissance : Octobris Maro consecravit idus, dit Martial[3]. Il ne vécut que cinquante-deux ans, et mourut à Brindes comme il allait en Grèce pour mettre, dans la retraite, la dernière main à son Énéide, qu’il avait été onze ans à composer.

  1. Voyez la première des Stances sur les poëtes épiques.
  2. Voyez aussi ce qu’en 1771 Voltaire, dans ses Questions sur l’Encyclopédie, dit de Virgile.
  3. Livre XII, épigramme 68.