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LE TRISSIN.

C’est sa main qui nous guide, et son feu qui nous luit ;
Tout ce que nous voyons est cet Être suprême…
C’est donc assez, Romains, de ces vives leçons
Qu’il grave dans notre âme au point que nous naissons.
Si nous n’y savons pas lire nos aventures,
Percer avant le temps dans les choses futures,
Loin d’appliquer en vain nos soins à les chercher,
Ignorons sans douleur ce qu’il veut nous cacher.


Ce n’est donc point pour n’avoir pas fait usage du ministère des dieux, mais pour avoir ignoré l’art de bien conduire les affaires des hommes, que Lucain est si inférieur à Virgile. Faut-il qu’après avoir peint César, Pompée, Caton, avec des traits si forts, il soit si faible quand il les fait agir ! Ce n’est presque plus qu’une gazette pleine de déclamations : il me semble que je vois un portique hardi et immense qui me conduit à des ruines.


CHAPITRE V.
LE TRISSIN[1].

Après que l’empire romain eût été détruit par les Barbares, plusieurs langues se formèrent des débris du latin, comme plusieurs royaumes s’élevèrent sur les ruines de Rome. Les conquérants portèrent dans tout l’occident leur barbarie et leur ignorance ; tous les arts périrent, et lorsque après huit cents ans ils commencèrent à renaître, ils renaquirent Goths et Vandales. Ce qui nous reste malheureusement de l’architecture et de la sculpture de ces temps-là est un composé bizarre de grossièreté et de colifichets. Le peu qu’on écrivait était dans le même goût. Les moines conservèrent la langue latine pour la corrompre ; les Francs, les Vandales, les Lombards, mêlèrent le latin corrompu leur jargon irrégulier et stérile. Enfin la langue italienne, comme la fille aînée de la latine, se polit la première, ensuite l’espagnole, puis la française et l’anglaise se perfectionnèrent.

  1. Né à Vicence le 8 juillet 1478.