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ESSAI SUR LA POÉSIE ÉPIQUE.

rendu que puériles en s’efforçant de les faire grandes. Ils condamnèrent unanimement cette futilité avec laquelle Satan fait bâtir une salle d’ordre dorique au milieu de l’enfer, avec des colonnes d’airain et de beaux chapiteaux d’or, pour haranguer les diables, auxquels il venait de parler tout aussi bien en plein air. Pour comble de ridicule, les grands diables, qui auraient occupé trop de place dans ce parlement d’enfer, se transforment en pygmées, afin que tout le monde puisse se trouver à l’aise au conseil.

Après la tenue des états infernaux, Satan s’apprête à sortir de l’abîme ; il trouve la Mort à la porte, qui veut se battre contre lui. Ils étaient prêts à en venir aux mains, quand le Péché, monstre féminin, à qui des dragons sortent du ventre, court au-devant de ces deux champions : « Arrête ; ô mon père ! dit-il au diable ; arrête, ô mon fils ! dit-il à la Mort. — Et qui es-tu donc, répond le diable, toi qui m’appelles ton père ? — Je suis le Péché, réplique ce monstre ; tu accouchas de moi dans le ciel ; je sortis de ta tête par le côté gauche ; tu devins bientôt amoureux de moi ; nous couchâmes ensemble ; j’entraînai beaucoup de chérubins dans ta révolte ; j’étais grosse quand la bataille se donna dans le ciel ; nous fûmes précipités ensemble. J’accouchai dans l’enfer, et ce fut ce monstre que tu vois dont je fus père : il est ton fils et le mien. À peine fut-il né, qu’il viola sa mère, et qu’il me fit tous ces enfants que tu vois, qui sortent à tous moments de mes entrailles, qui y rentrent, et qui les déchirent. »

Après cette dégoûtante et abominable histoire, le Péché ouvre à Satan les portes de l’enfer ; il laisse les diables sur le bord du Phlégéton, du Styx, et du Léthé : les uns jouent de la harpe, les autres courent la bague ; quelques-uns disputent sur la grâce et sur la prédestination. Cependant Satan voyage dans les espaces imaginaires : il tombe dans le vide, et il tomberait encore si une nuée ne l’avait repoussé en haut. Il arrive dans le pays du chaos ; il traverse le paradis des fous, the paradise of fools (c’est l’un des endroits qui ne sont point traduits en français) ; il trouve dans ce paradis les indulgences, les Agnus Dei, les chapelets, les capuchons, et les scapulaires des moines.

Voilà des imaginations dont tout lecteur sensé a été révolté ; et il faut que le poème soit bien beau d’ailleurs pour qu’on ait pu le lire, malgré l’ennui que doit causer cet amas de folies désagréables.

La guerre entre les bons et les mauvais anges a paru aussi aux connaisseurs un épisode où le sublime est trop noyé dans l’extra-