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380 DISCOURS l'RÉLIMIXAIRE.

tré de faire parler son cœur plus que son imagination ; et l'auteur avoue qu'il s'est plus attendri en disant * :

Tu meurs, jeuno Craon : que le ciel moins sévère Veillo sur les destins de ton généreux frère!

que s'il avait invoqué les Euménides pour faire ôter la vie à un jeune guerrier aimable.

Il faut des divinités dans un poëme épique, et surtout quand il s'agit de héros fabuleux; mais ici le vrai Jupiter, le vrai Mars, c'est un roi tranquille dans le plus grand danger, et qui hasarde sa vie pour un peuple dont il est le père; c'est lui, c'est son fils, ce sont ceux qui ont vaincu sous lui, et non Junon et Juturne, qu'on a a^ouIu et qu'on a dû peindre. D'ailleurs le petit nombre de ceux qui connaissent notre poésie savent qu'il est bien plus aisé d'intéresser le ciel, les enfers et la terre, à une bataille, que de faire reconnaître, et de distinguer, par des images propres et sensibles, des carabiniers qui ont de gros fusils rayés, des grena- diers, des dragons qui combattent à pied et à cheval ; de parler de retranchements faits à la hâte, d'ennemis qui s'avancent en colonne, d'exprimer enfin ce qu'on n'a guère dit encore en vers.

C'était ce que sentait M. Addison, bon poète et critique judi- cieux. Il employa dans son poëme, qui a immortalisé la campagne d'Hochstedt, beaucoup moins de fictions qu'on ne s'en est permis dans le Poe me de Fonte noy. Il savait que le duc de Marlborough et le prince Eugène se seraient très-peu souciés de voir des dieux où il était question de grandes actions des hommes; il savait qu'on relève par l'invention les exploits de l'antiquité, et qu'on court risque d'affaiblir ceux des modernes par de froides allégo- ries : il a fait mieux, il a intéressé l'Europe entière à son action. Il en est à peu près de ces petits poèmes de trois cents ou de quatre cents vers sur les affaires présentes comme d'une tragé- die : le fond doit être intéressant par lui-même, et les ornements étrangers sont presque toujours superflus.

On a dû spécifier les différents corps qui ont combattu, leurs armes, leur position, l'endroit où ils ont attaqué; dire que la colonne anglaise a pénétré ; exprimer comment elle a été enfoncée par la maison du roi, les carabiniers, la gendarmerie, le régiment de Normandie, les Irlandais, etc. Si on n'était pas entré dans ces détails, dont le fond est si héroïque, et qui sont

1. Vers 113-114.

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