Expliquez-nous le nœud qui vous joint avec lui :
Daignez développer ce changement extrême ;
Vous seul pouvez parler dignement de vous-même.
Peignez-moi vos malheurs et vos heureux exploits ;
Songez que votre vie est la leçon des rois.
Hélas ! reprit Bourbon, faut-il que ma mémoire[1]
Rappelle de ces temps la malheureuse histoire !
Plût au ciel irrité, témoin de mes douleurs,
Qu’un éternel oubli nous cachât tant d’horreurs !
Pourquoi demandez-vous que ma bouche raconte
Des princes de mon sang les fureurs et la honte ?
Mon cœur frémit encore à ce seul souvenir[2] ;
Mais vous me l’ordonnez, je vais vous obéir.
Un autre, en vous parlant, pourrait avec adresse
Déguiser leurs forfaits, excuser leur faiblesse ;
Mais ce vain artifice est peu fait pour mon cœur,
Et je parle en soldat plus qu’en ambassadeur[3].
- ↑ Imitation de Virgile (Æn., II, 3, 10, 13) :
Infandum, regina, jubos renovare dolorem.
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Sed, si tantus amor casus cognoscere nostros
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Incipiam. - ↑ Imitation de Virgile (Æn., II, 12) :
Animus meminisse horret. - ↑ Ceux qui n'approuvent point que l'auteur ait supposé ce voyage de Henri IV en Angleterre peuvent dire qu'il ne paraît pas permis de mêler ainsi le mensonge à la vérité dans une histoire si récente; que les savants dans l'histoire de France en doivent être choqués, et les ignorants peuvent être induits en erreur; que si les fictions ont droit d'entrer dans un poëme épique, il faut que le lecteur les reconnaisse aisément pour telles; que, quand on personnifie les passions, que l'on peint la Politique et la Discorde allant de Rome à Paris, l'Amour enchaînant Henri IV, etc., personne ne peut être trompé à ces peintures; mais que, lorsque l'on voit Henri IV passer la mer pour demander du secours à une princesse de sa religion, on peut croire facilement que ce prince a fait effectivement ce voyage; qu'en un mot, un tel épisode doit être moins regardé comme une imagination du poëte que comme un mensonge d'historien.
Ceux qui sont du sentiment contraire peuvent opposer que non-seulement il est permis à un poëte d'altérer l'histoire dans les faits principaux, mais qu'il est impossible de ne le pas faire; qu'il n'y a jamais eu d'événement dans le monde tellement disposé par le hasard qu'on pût en faire un poëme épique sans y rien changer; qu'il ne faut pas avoir plus de scrupule dans le poëme que dans la tragédie, où l'on pousse beaucoup plus loin la liberté de ces changements : car, si l'on était trop servilement attaché à l'histoire, on tomberait dans le défaut de