Page:Voltaire - Dictionnaire philosophique portatif, 6e édition, tome 1.djvu/52

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rangée, ou non rangée, nos voisins, & pour la plus vile récompense nous travaillons à la cuisine des corbeaux & des vers. C’est là qu’est l’horreur, c’est là qu’est le crime ; qu’importe quand on est tué d’être mangé par un soldat, ou par un corbeau & un chien ?

Nous respectons plus les morts que les vivans. Il aurait fallu respecter les uns & les autres. Les nations qu’on nomme policées ont eu raison de ne pas mettre leurs ennemis vaincus à la broche ; car s’il était permis de manger ses voisins, on mangerait bientôt ses compatriotes ; ce qui serait un grand inconvénient pour les vertus sociales. Mais les nations policées ne l’ont pas toujours été ; toutes ont été longtemps sauvages ; & dans le nombre infini de révolutions que ce globe a éprouvées, le genre humain a été tantôt nombreux, tantôt très-rare. Il est arrivé aux hommes ce qui arrive aujourd’hui aux éléphans, aux lions, aux tigres, dont l’espèce a beaucoup diminué. Dans les temps où une contrée était peu peuplée d’hommes, ils avoient peu d’arts, ils étaient chasseurs. L’habitude de se nourrir de ce qu’ils avaient tué, fit aisément qu’ils traitèrent leurs ennemis comme leurs cerfs & leurs sangliers. C’est la superstition qui a fait immoler des victimes humaines, c’est la nécessité qui les a fait manger.

Quel est le plus grand crime ou de s’assembler pieusement pour plonger un couteau dans le cœur d’une jeune fille ornée de bandelettes, à