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Carême.

le désert où il fut emporté par le diable, par le Cnathbull ? St. Matthieu remarque qu’après ce carême il eut faim, il n’avait donc pas faim pendant ce Carême.

Pourquoi dans les jours d’abstinence l’Église Romaine regarde-t-elle comme un crime de manger des animaux terrestres, & comme une bonne œuvre de se faire servir des soles & des saumons ? le riche papiste qui aura eu sur sa table pour cinq cents francs de poisson sera sauvé, & le pauvre, mourant de faim, qui aura mangé pour quatre sous de petit salé sera damné !

Pourquoi faut-il demander permission à son évêque de manger des œufs ? Si un roi ordonnait à son peuple de ne jamais manger d’œufs, ne passerait-il pas pour le plus ridicule des tyrans ? quelle étrange aversion les évêques ont-ils pour les omelettes ?

Croira-t-on que chez les papistes il y ait eu des tribunaux assez imbéciles, assez lâches, assez barbares pour condamner à la mort de pauvres citoyens qui n’avaient commis d’autres crimes que d’avoir mangé du cheval en carême ? Le fait n’est que trop vrai : j’ai entre les mains un arrêt de cette espèce. Ce qu’il y a d’étrange, c’est que les juges qui ont rendu de pareilles sentences se sont crus supérieurs aux Iroquois.

Prêtres idiots & cruels ! à qui ordonnez-vous le carême ? est-ce aux riches ? ils se gardent bien de l’observer. Est-ce aux pauvres ? ils font carême toute l’année. Le malheureux cultivateur ne mange presque jamais de viande, & n’a