Page:Voltaire - La Raison par alphabet, 6e édition, Cramer, 1769, tome 1.djvu/247

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
241
Destin.

ma tante dix ans de plus qu’elle ne devait vivre ; d’autres qui font les capables disent, L’homme prudent fait lui-même son destin.

Nullum numen abest si sit prudentia, sed nos
Te facimus fortuna Deam coeloque locamus.

Mais souvent le prudent succombe sous sa destinée, loin de la faire ; c’est le destin qui fait les prudens.

De profonds politiques assurent que si on avait assassiné Cromwell, Ludlow, Ireton, & une douzaine d’autres parlementaires, huit jours avant qu’on coupât la tête à Charles Ier, ce roi aurait pu vivre encor & mourir dans son lit ; ils ont raison ; ils peuvent ajouter encor que si toute l’Angleterre avait été engloutie dans la mer, ce monarque n’aurait pas péri sur un échafaud auprès de Whitehall, auprès de la salle blanche : mais les choses étaient arrangées de façon que Charles devait avoir le cou coupé.

Le cardinal d’Ossat était sans doute plus prudent qu’un fou des petites maisons ; mais n’est-il pas évident que les organes du sage d’Ossat étaient autrement faits que ceux de cet écervelé ? de même que les organes d’un renard sont différens de ceux d’une grüe & d’une alouette.

Ton médecin a sauvé ta tante ; mais certainement il n’a pas en cela contredit l’ordre de la nature, il l’a suivi. Il est clair que ta tante ne pouvait pas s’empêcher de naître dans