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Folie.

pâtit, comme le gouteux est un malade qui souffre aux pieds & aux mains ; il pensait par le cerveau, comme il marchait avec les pieds, sans rien connaître ni de son pouvoir incompréhensible de marcher, ni de son pouvoir non moins incompréhensible de penser. On a la goutte au cerveau comme aux pieds. Enfin après mille raisonnements, il n’y a peut-être que la foi seule qui puisse nous convaincre qu’une substance simple & immatérielle puisse être malade.

Les doctes ou les docteurs diront au fou ; Mon ami, quoique tu ayes perdu le sens commun, ton ame est aussi spirituelle, aussi pure, aussi immortelle que la nôtre ; mais notre ame est bien logée, & la tienne l’est mal ; les fenêtres de la maison sont bouchées pour elle ; l’air lui manque, elle étouffe. Le fou, dans ses bons moments, leur répondrait, Mes amis, vous supposez à votre ordinaire ce qui est en question, mes fenêtres sont aussi bien ouvertes que les vôtres, puisque je vois les mêmes objets, & que j’entends les mêmes paroles : il faut donc nécessairement que mon ame fasse un mauvais usage de ses sens, ou que mon ame ne soit elle-même qu’un sens vicié, une qualité dépravée. En un mot, ou mon ame est folie par elle-même, ou je n’ai point d’âme.

Un des docteurs pourra répondre : Mon confrère, Dieu a créé peut-être des ames folles, comme il a créé des ames sages. Le fou répliquera ; Si je croyais ce que vous me dites, je serais encor plus fou que je ne le suis. De grace, vous qui en savez tant, dites-moi pourquoi je suis fou ?