Page:Voltaire - La Raison par alphabet, 6e édition, Cramer, 1769, tome 1.djvu/331

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
325
Grace.

Malheureux, voyez ce chêne qui porte sa tête aux nuës, & ce roseau qui rempe à ses piés ; vous ne dites pas que la grace efficace a été donnée au chêne, & a manqué au roseau. Levez les yeux au ciel, voyez l’éternel Démiurgos créant des millions de mondes qui gravitent tous les uns vers les autres, par des loix générales & éternelles. Voyez la même lumière se réfléchir du soleil à Saturne, & de Saturne à nous ; & dans cet accord de tant d’astres emportés par un cours rapide, dans cette obéissance générale de toute la nature, osez croire, si vous pouvez, que Dieu s’occupe de donner une grace versatile à sœur Thérèse & une grace concomitante à sœur Agnès !

Atome, à qui un sot atome a dit que l’Éternel a des loix particulières pour quelques atomes de ton voisinage, qu’il donne sa grace à celui-là, & la refuse à celui-ci ; que tel qui n’avait pas la grace hier, l’aura demain ; ne répète pas cette sottise. Dieu a fait l’univers, & ne va point créer des vents nouveaux pour remuer quelques brins de paille dans un coin de cet univers. Les théologiens sont comme les combattants chez Homère, qui croyaient que les dieux s’armaient tantôt contre eux, tantôt en leur faveur. Si Homère n’était pas considéré comme poëte, il le serait comme blasphémateur.

C’est Marc-Aurèle qui parle, ce n’est pas moi ; car Dieu qui vous inspire, me fait la grace de croire tout ce que vous dites, tout ce que vous avez dit, & tout ce que vous direz.