Page:Voltaire - La Raison par alphabet, 6e édition, Cramer, 1769, tome 1.djvu/97

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
91
Tout est Bien.

nérale ; mais Shaftsbury & Bolingbroke se moquent du péché originel ; Pope n’en parle point ; il est clair que leur systême sape la religion chrétienne par ses fondements, & n’explique rien du tout.

Cependant, ce systême a été approuvé depuis peu par plusieurs théologiens, qui admettent volontiers les contraires ; à la bonne heure, il ne faut envier à personne la consolation de raisonner comme il peut sur le déluge de maux qui nous inonde. Il est juste d’accorder aux malades désespérés, de manger de ce qu’ils veulent. On a été jusqu’à prétendre que ce systême est consolant. Dieu, dit Pope, voit d’un même œil périr le héros & le moineau, un atôme, ou mille planètes précipitées dans la ruine, une boule de savon, ou un monde se former.

Voilà, je vous l’avouë, une plaisante consolation ; ne trouvez-vous pas un grand lénitif dans l’ordonnance de Mylord Shaftsbury, qui dit que Dieu n’ira pas déranger ses loix éternelles pour un animal aussi chétif que l’homme ? Il faut avoüer du moins que ce chétif animal a droit de crier humblement, & de chercher à comprendre en criant, pourquoi ces loix éternelles ne sont pas faites pour le bien-être de chaque individu ?

Ce systême du tout est bien, ne représente l’auteur de toute la nature, que comme un roi puissant & mal-faisant, qui ne s’embarrasse pas qu’il en coûte la vie à quatre ou cinq cent mille hommes, & que les autres traînent leurs jours dans la disette & dans les lar-