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Page:Voltaire - La Raison par alphabet, 6e édition, Cramer, 1769, tome 2.djvu/120

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Préjugés.

yeux nous trompent toûjours, lors même que nous voyons très bien, & qu’au contraire nos oreilles ne nous trompent pas ? Que votre oreille bien conformée entende, vous êtes belle, je vous aime : il est bien sûr qu’on ne vous a pas dit, je vous hais, vous êtes laide ; mais vous voyez un miroir uni, il est démontré que vous vous trompez, c’est une surface très raboteuse. Vous voyez le soleil d’environ deux pieds de diamètre, il est démontré qu’il est un million de fois plus gros que la terre.

Il semble que Dieu ait mis la vérité dans vos oreilles, & l’erreur dans vos yeux ; mais étudiez l’optique, & vous verrez que Dieu ne vous a pas trompé, & qu’il est impossible que les objets vous paraissent autrement que vous les voyez dans l’état présent des choses.

Préjugés physiques

Le soleil se lève, la lune aussi, la terre est immobile ; ce sont là des préjugés physiques naturels. Mais que les écrevisses soient bonnes pour le sang, parce qu’étant cuites elles sont rouges comme lui ; que les anguilles guérissent la paralysie, parce qu’elles frétillent ; que la lune influe sur nos maladies, parce qu’un jour on observa qu’un malade avait eu un redoublement de fièvre pendant le décours de la lune : ces idées & mille autres ont été des erreurs d’anciens charlatans qui jugèrent sans raisonner, & qui étant trompés trompèrent les autres.