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De la Liberté.

[1]B. — Cela est clair.

A. — Vous avez en conséquence fait une trentaine de pas pour être à l’abri du canon, vous avez eu le pouvoir de marcher avec moi ce peu de pas ?

B. — Cela est encor très clair.

A. — Et si vous aviez été paralytique, vous n’auriez pu éviter d’être exposé à cette batterie, vous n’auriez pas eu le pouvoir d’être où vous êtes, vous auriez nécessairement entendu & reçu un coup de canon, & vous seriez mort nécessairement ?

B. — Rien n’est plus véritable.

A. — En quoi consiste donc votre liberté, si ce n’est dans le pouvoir que votre individu a exercé de faire ce que votre volonté exigeait d’une nécessité absolue ?

B. — Vous m’embarrassez ; la liberté n’est donc autre chose que le pouvoir de faire ce que je veux.

A. — Réfléchissez-y, & voyez si la liberté peut être entendue autrement ?

B. — En ce cas mon chien de chasse est aussi libre que moi ; il a nécessairement la volonté de courir quand il voit un lièvre, & le pouvoir de courir s’il n’a pas mal aux jambes. Je n’ai

  1. Un pauvre d’esprit dans un petit écrit honnête, poli, & surtout bien raisonné, objecte que si le prince ordonne à B. de rester exposé au canon, il y restera. Oui, sans doute, s’il a plus de courage, ou plutôt plus de crainte de la honte que d’amour de la vie, comme il arrive très souvent. Premièrement il s’agit ici d’un cas tout différent. Secondement, quand l’instinct de la crainte de la honte l’emporte sur l’instinct de la conservation de soi-même, l’homme est autant nécessité à demeurer exposé au canon, qu’il est nécessité à fuir quand il n’est pas honteux de fuir. Le pauvre d’esprit était nécessité à faire des objections ridicules, & à dire des injures ; & les philosophes se sentent nécessités à se moquer un peu de lui, & à lui pardonner.