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Des Loix. Sect. I.

la loi qui défendait de manger du porc & de boire du vin, était très raisonnable en Arabie, où le porc & le vin sont pernicieux ; elle est absurde à Constantinople.

La loi qui donne tout le fief à l’aîné, est fort bonne dans un tems d’anarchie & de pillage. Alors l’aîné est le capitaine du château que des brigands assailliront tôt ou tard ; les cadets seront ses premiers officiers, les laboureurs ses soldats. Tout ce qui est à craindre, c’est que le cadet n’assassine ou n’empoisonne le Seigneur Salien son aîné, pour devenir à son tour le maître de la masure ; mais ces cas sont rares, parce que la nature a tellement combiné nos instincts & nos passions, que nous avons plus d’horreur d’assassiner notre frère aîné que nous n’avons d’envie d’avoir sa place. Or cette loi convenable à des possesseurs de donjons du tems de Chilperic, est détestable quand il s’agit de partager des rentes dans une ville.

À la honte des hommes, on sait que les loix du jeu sont les seules qui soient partout justes, claires, inviolables & exécutées. Pourquoi l’Indien qui a donné les règles du jeu d’échecs, est-il obéi de bon gré dans toute la terre, & que les décrétales des Papes, par exemple, sont aujourd’hui un objet d’horreur & de mépris ? c’est que l’inventeur des échecs combina tout avec justesse pour la satisfaction des joueurs, & que les Papes dans leurs décrétales, n’eurent en vuë que leur seul avantage. L’Indien voulut exercer également l’esprit des hommes & leur donner du plaisir ; les Papes ont voulu