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Matière.

qui s’approcheront toûjours, & qui ne se rencontreront jamais ?

Les géomètres à la vérité nous diront ; Les propriétés des asymptotes vous sont démontrées ; vous ne pouvez vous empêcher de les admettre ; mais la création ne l’est pas, pourquoi l’admettez-vous ? Quelle difficulté trouvez-vous à croire comme toute l’antiquité la matière éternelle ? D’un autre côté le théologien vous pressera & vous dira, Si vous croyez la matière éternelle, vous reconnaissez donc deux principes, Dieu & la matière, vous tombez dans l’erreur de Zoroastre, de Manés.

On ne répondra rien aux géomètres, parce que ces gens-là ne connaissent que leurs lignes, leurs surfaces & leurs solides ; mais on pourra dire au théologien : En quoi suis-je Manichéen ? voilà des pierres qu’un architecte n’a point faites ; il en a élevé un bâtiment immense ; je n’admets point deux architectes ; les pierres brutes ont obéi au pouvoir & au génie.

Heureusement quelque systême qu’on embrasse, aucun ne nuit à la morale ; car qu’importe que la matière soit faite ou arrangée ? Dieu est également notre maître absolu. Nous devons être également vertueux sur un chaos débrouillé, ou sur un chaos créé de rien, presque aucune de ces questions métaphysiques n’influe sur la conduite de la vie ; il en est des disputes comme des vains discours qu’on tient à table ; chacun oublie après dîner ce qu’il a dit, & va où son intérêt & son goût l’appellent.