Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome14.djvu/350

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dérangé dès l’année 1696 cet ordre de succession, et le nom autrichien avait déjà été sacrifié en secret. Le roi d’Espagne avait un petit-neveu, fils de l’électeur de Bavière Maximilien-Emmanuel[1]. La mère du roi, qui vivait encore, était bisaïeule de ce jeune prince de Bavière, âgé alors de quatre ans ; et quoique cette reine mère fût de la maison d’Autriche, étant fille de l’empereur Ferdinand III, elle obtint de son fils que la race impériale fût déshéritée. Elle était piquée contre la cour de Vienne. Elle jeta les yeux sur ce prince bavarois sortant du berceau pour le destiner à la monarchie d’Espagne et du nouveau monde. Charles II, alors gouverné par elle[2], fit un testament secret en faveur du prince électoral de Bavière, en 1696. Charles, ayant depuis perdu sa mère, fut gouverné par sa femme Marie-Anne de Bavière-Neubourg. Cette princesse bavaroise, belle-sœur de l’empereur Léopold, était aussi attachée à la maison d’Autriche que la reine mère autrichienne avait été affectionnée au sang de Bavière. Ainsi le cours naturel des choses fut toujours interverti dans cette affaire, où il s’agissait de la plus vaste monarchie du monde. Marie-Anne de Bavière fit déchirer le testament qui appelait le jeune Bavarois à la succession, et le roi promit à sa femme qu’il n’aurait jamais d’autre héritier qu’un fils de l’empereur Léopold, et qu’il ne ruinerait pas la maison d’Autriche. Les choses étaient en ces termes à la paix de Rysvick. Les maisons de France et d’Autriche se craignaient et s’observaient, et elles avaient l’Europe à craindre. L’Angleterre, et la Hollande alors puissante, dont l’intérêt était de tenir la balance entre les souverains, ne voulaient point souffrir que la même tête pût porter avec la couronne d’Espagne celle de l’empire, ou celle de France.

Ce qu’il y eut de plus étrange, c’est que le roi de Portugal, Pierre II, se mit au rang des prétendants. Cela était absurde : il ne pouvait tirer son droit que d’un Jean Ier, fils naturel de Pierre le Justicier, au xve siècle ; mais cette prétention chimérique était soutenue par le comte d’Oropesa de la maison de Bragance ; il était membre du conseil. Il osa en parler : il fut disgracié et renvoyé.

Louis XIV ne pouvait souffrir qu’un fils de l’empereur recueillît la succession, et il ne pouvait la demander. On ne sait pas posi-

  1. Voltaire l’appelle Maximilien-Marie, tome XIII, page 214 ; et Marie-Emmanuel, tome XIII, page 603. L’Art de vérifier les dates dit Maximilien-Emmanuel. (B.)
  2. Voyez les Mémoires de Torcy, tome Ier, page 52. (Note de Voltaire.)