Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome15.djvu/32

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de rester tranquilles au milieu des factions de la Fronde et des guerres civiles que des princes, des parlements et des évêques excitèrent, en prétendant servir le roi contre le cardinal Mazarin.

Il ne fut presque point question de religion pendant la vie de ce ministre. Il ne fit nulle difficulté de donner la place de contrôleur général des finances à un calviniste étranger, nommé Hervart[1]. Tous les réformés entrèrent dans les fermes, dans les sous-fermes, dans toutes les places qui en dépendent.

Colbert, qui ranima l’industrie de la nation, et qu’on peut regarder comme le fondateur du commerce, employa beaucoup de huguenots dans les arts, dans les manufactures, dans la marine. Tous ces objets utiles, qui les occupaient, adoucirent peu à peu dans eux la fureur épidémique de la controverse ; et la gloire qui environna cinquante ans Louis XIV, sa puissance, son gouvernement ferme et vigoureux, ôtèrent au parti réformé, comme à tous les ordres de l’État, toute idée de résistance. Les fêtes magnifiques d’une cour galante jetaient même du ridicule sur le pédantisme des huguenots. À mesure que le bon goût se perfectionnait, les psaumes de Marot et de Bèze ne pouvaient plus insensiblement inspirer que du dégoût. Ces psaumes, qui avaient charmé la cour de François II, n’étaient plus faits que pour la populace sous Louis XIV. La saine philosophie, qui commença vers le milieu de ce siècle à percer un peu dans le monde, devait encore dégoûter à la longue les honnêtes gens des disputes de controverse.

Mais, en attendant que la raison se fît peu à peu écouter des hommes, l’esprit même de dispute pouvait servir à entretenir la tranquillité de l’État : car les jansénistes commençant alors à paraître avec quelque réputation, ils partageaient les suffrages de ceux qui se nourrissent de ces subtilités ; ils écrivaient contre les jésuites et contre les huguenots : ceux-ci répondaient aux jansénistes et aux jésuites ; les luthériens de la province d’Alsace écrivaient contre eux tous. Une guerre de plume entre tant de partis, pendant que l’État était occupé de grandes choses, et que le gouvernement était tout-puissant, ne pouvait devenir en peu d’années qu’une occupation de gens oisifs, qui dégénère tôt ou tard en indifférence.

Louis XIV était animé contre les réformés[2], par les remontrances continuelles de son clergé, par les insinuations des jésuites, par la cour de Rome, et enfin par le chancelier Le Tellier et Lou-

  1. Il avait fondé à Paris une maison de banque.
  2. Au lieu de réformés, les éditions antérieures à 1768 portent religionnaires. (B.)