d'autre animal jeté à la voirie [1] ; tandis que dans Paris, un célèbre financier [2] avait des relais de chevaux qui lui amenaient tous les jours de la marée fraîche de Dieppe. Il faisait régulièrement carême ; il le sanctifiait en mangeant avec ses parasites pour deux cents écus de poisson, et nous, si nous mangions pour deux liards d'une chair dégoûtante et abominable, nous périssions par la corde, et on nous menaçait d'une damnation éternelle.
Ces temps horribles sont changés ; mais il nous est toujours très-difficile d'opérer notre salut. Nous n'avons que du pain de seigle, ou de châtaignes, ou d'orge, des œufs de nos poules, et du fromage fait avec le lait de nos vaches et de nos chèvres. Le poisson même des rivières et des lacs est trop cher pour les pauvres habitants de la campagne ; ils n'ont pas droit de pêche : tout va dans les grandes villes, et tout s'y vend à un prix auquel nous ne pouvons jamais atteindre.
Dans plusieurs de nos provinces il n'est pas permis de manger des œufs ; dans d'autres, le fromage même est défendu. Il dépend, dit-on, de la pure volonté de l'évêque de nous interdire les œufs et le laitage : de sorte que nous sommes condamnés ou à pécher (comme on dit) mortellement, ou à mourir de faim, selon le caprice d'un seul homme, éloigné de nous de dix ou douze lieues, que nous n'avons jamais vu, et que nous ne verrons jamais, pour
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Copie de l'arrêt sans appel prononcé par le grand-juge des moines de Saint-Claude, le 20 juillet 1629 :
« Nous, après avoir vu toutes les pièces du procès, et de l'avis des docteurs en droit, déclarons ledit Guillon, écuyer, dûment atteint et convaincu d'avoir, le 31 du mois de mars passé, jour de samedi, en carême, emporté des morceaux d'un cheval jeté à la voirie, dans le pré de cette ville, et d'en avoir mangé le 1er d'avril. Pour réparation de quoi, nous le condamnons à être conduit sur un échafaud qui sera dressé sur la place du marché, pour y avoir la tête tranchée, etc. »
Suit le procès-verbal de l'exécution.
N. B. que ces juges, qui ne pouvaient prononcer sans appel au civil au-dessus de cinq cents livres, pouvaient verser le sang humain sans appel.
N. B. que le grand juge de ce pays, nommé Boguet, se vante, dans son livre sur les sorciers, imprimé à Lyon, en 1607, d'avoir fait brûler sept cents sorciers. Il assure dans ce livre, page 39, que Mahomet était sorcier, et qu'il avait un taureau et une colombe qui étaient des diables déguisés.
Les historiens n'ont jamais tenu compte de la foule épouvantable de ces horreurs. Ils parlent des intrigues des cours, que la plupart n'ont jamais connues : ils oublient tout ce qui intéresse l'humanité ; il ne savent pas à quel point nous avons été barbares, et que nous ne sommes pas encore sortis entièrement de cette exécrable barbarie qui nous mettait si au-dessous des sauvages. (Note de Voltaire.) — Il a été question de Claude Guillon, tome XXV, pages 522 et 559. La minute originale de cet arrêt n'a jamais été produite.
- ↑ Bouret ; voyez la note, tome XXIII, page 303.