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FRAGMENTS HISTORIQUES SUR L’INDE,

pendants de la compagnie. Un Malabare, nommé Nama, banquier de La Bourdonnaie, avait été jeté dans un cachot pour n’avoir pas déposé contre lui. Un autre se plaignait des exactions qu’il avait éprouvées. Les enfants d’un autre Indien, nommé de Mondamia, régisseur d’un canton voisin, ne cessèrent de demander justice de la mort de leur père, qu’on avait fait expirer dans les tortures pour tirer de lui de l’argent. Mille plaintes de cette nature rendaient le nom français odieux. Le nouveau gouverneur traita les Indiens avec humanité, et ménagea un accommodement avec les Anglais. Lui et M. Saunders, alors gouverneur de Madras, établirent une trêve en 1755, et firent une paix conditionnelle. Le premier article était que l’un et l’autre comptoir renonceraient aux dignités indiennes ; les autres articles portaient des règlements pour un commerce pacifique.

La trêve ne fut pas exactement observée. Il y a toujours des subalternes qui veulent tout brouiller pour se rendre nécessaires. D’ailleurs on prévoyait, dès le commencement de 1756, une nouvelle guerre en Europe : il fallait s’y préparer. On a prétendu que, dans cet intervalle, l’avidité de quelques particuliers glanait dans le champ du public, devenu stérile pour la compagnie ; et que la colonie de Pondichéry ressemblait à un mourant dont on pille les meubles avant qu’il soit expiré.


ARTICLE IV.


ENVOI DU COMTE DE LALLY DANS L’INDE. QUEL ÉTAIT CE GÉNÉRAL ; QUELS ÉTAIENT SES SERVICES AVANT CETTE EXPÉDITION.


Pour arrêter ces abus, et pour prévenir les entreprises des Anglais, encore plus à craindre, le roi de France envoya dans l’Inde de l’argent et des troupes. La France et l’Angleterre recommençaient alors cette guerre de 1756, dont le prétexte était un ancien traité de paix fort mal fait. Les ministres avaient oublié dans ce traité de spécifier les limites de l’Acadie, misérable pays glacé vers le Canada. Puisqu’on se battait dans ces déserts septentrionaux de l’Amérique, il fallait bien s’aller égorger aussi dans la zone torride en Asie. Le ministère de France nomma pour cette entreprise le comte de Lally. C’était un gentilhomme irlandais dont les ancêtres suivirent en France la fortune des Stuarts, maison la plus malheureuse de toutes celles qui ont porté une couronne. Cet officier était un des plus braves et des