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ÉIMTRH DÉDICATOIRE. 171

années l’un de l’autre \ et après avoir été calomnié et persécuté pondant ros soixante années, sans en faire que rire, je sors presque oclo^étiaire (c’est-à-dire beaucoup trop tard) d’une carrière épineuse dans lequel un goilt irrésistible m’engagea trop longtemps.

Je souhaite que la scène française, élevée dans le grand siècle de Louis XIV au-dessus du théâtre d’Athènes et de toutes les nations, reprenne la vie après moi, qu’elle se purge de tous les défauts que j’y ai portés, et qu’elle acquière les beautés que je n’ai pas connues.

Je souhaite qu’au premier pas que fera dans cette carrière un homme de génie, tous ceux qui n’en ont point ne s’ameutent pas pour le faire tomher, pour l’écraser dans sa chute, et pour l’opprimer par les pins absurdes impostures.

Qu’il ne soit pas mordu par les folliculaires, comme toute (îhair bien saine l’est par les insectes ; ces insectes et ces folliculaires ne mordant que pour vivre.

Je souhaite que la calomnie ne députe point quelques-uns de ses serpents à la cour pour perdre ce génie naissant % en cas que la cour, par hasard, entende parler de ses talents.

Puissent les tragédies n’être désormais ni une longue conversation partagée en cinq actes par des violons, ni un amas de spectacles grotes([ues, appelé par les Anglais sJiow, et par nous, la rareté, la curiosité !

Puisse-t-on n’y plus traiter l’amour comme un amour de comédie dans le goût de ïérence, avec déclaration, jalousie, rupture, et raccommodement !

Qu’on ne substitue point à ces langueurs amoureuses des aventures incroyables et des sentiments monstrueux, exprimés en vers plus monsti-ueux encore, et remplis de maximes dignes de Cartouche et de son style.

Que, dans le désespoir secret de ne pouvoir approcher de nos grands maîtres, on n’aille pas emprunter des haillons affreux chez les étrangers, quand on a les plus riches étoffes dans son pays.

Que tous les vers soient harmonieux et bien faits ; mérite absolument nécessaire, sans lequel la poésie n’est jamais qu’un monstre, mérite auquel presque aucun de nous n’a pu parvenir depuis Athalic.

1. VOEdipe ne fut joué qu’en 1718 ; mais il avait été compose cinq ans auparavant ; voyez Théâtre, t. Ier, page 7, note 2,

2. Ces mots désignent Laharpe ; voyez la lettre à d’Alembert, du 8 mai, et celle à Laharpe, du 24 mai 1773. (B.)