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dialogues philosophiques

rendre les maîtres de l’esprit des hommes ; ils firent d’abord accroire aux princes qu’ils ne pouvaient régner sans les prêtres, et bientôt ils s’élevèrent contre les princes. J’ai lu qu’ils détrônèrent un empereur nommé Débonnaire, un Henri IV, un Frédéric, plus de trente rois, et qu’ils en assassinèrent plus de vingt.

Si la sagesse du gouvernement chinois a contenu jusqu’ici les bonzes qui déshonorent vos provinces, elle ne pourra jamais prévenir les maux que feraient les bonzes d’Europe. Ces gens-là ont un esprit cent fois plus ardent, un plus violent enthousiasme, et une fureur plus raisonnée dans leur démence, que ne l’est le fanatisme de tous les bonzes du Japon, de Siam, et de tous ceux qu’on tolère à la Chine.

Les sots prêchent parmi eux, et les fripons intriguent ; ils subjuguent les hommes par les femmes, et les femmes par la confession. Maîtres des secrets de toutes les familles, dont ils rendent compte à leurs supérieurs, ils sont bientôt les maîtres d’un État, sans même paraître l’être encore, d’autant plus sûrs de parvenir à leurs fins qu’ils semblent n’en avoir aucune. Ils vont à la puissance par l’humilité, à la richesse par la pauvreté, et à la cruauté par la douceur.

Vous vous souvenez, sire, de la fable des dragons qui se métamorphosaient en moutons pour dévorer plus sûrement les hommes : voilà leur caractère ; il n’y a jamais eu sur le terre de monstres plus dangereux ; et Dieu n’a jamais eu d’ennemis plus funestes.