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dialogues philosophiques

Aussitôt voilà le frère Rigolet qui se met à prononcer des paroles en latin, avale deux douzaines d’hosties, boit chopine, et dit grâces très dévotement.

— Mais, mon cher ami, lui dit l’empereur, tu as mangé et bu ton dieu : que deviendra-t-il quand tu auras besoin d’un pot de chambre ?

— Sire, dit frère Rigolet, il deviendra ce qu’il pourra, c’est son affaire. Quelques-uns de nos docteurs disent qu’on le rend à la garde-robe ; d’autres qu’il s’échappe par insensible transpiration ; quelques-uns prétendent qu’il s’en retourne au ciel ; pour moi, j’ai fait mon devoir de prêtre, cela me suffit ; et pourvu qu’après ce déjeuner on me donne un bon dîner avec quelque argent pour ma peine, je suis content.

— Or çà, dit l’empereur à frère Rigolet, ce n’est pas tout, je sais qu’il y a aussi dans mon empire d’autres missionnaires qui ne sont pas jésuites, et qu’on appelle dominicains, cordeliers, capucins ; dis-moi en conscience s’ils mangent Dieu comme toi.

— Ils le mangent, sire, dit le bonhomme ; mais c’est pour leur condamnation. Ce sont tous des coquins et nos plus grands ennemis ; ils veulent nous couper l’herbe sous le pied. Ils nous accusent sans cesse auprès de notre saint père le pape. Votre majesté ferait fort bien de les chasser tous, et de ne conserver que les jésuites : ce serait un vrai moyen de gagner la vie éternelle, quand même vous ne seriez pas chrétien.