Page:Vontade - La Lueur sur la cime.pdf/107

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taliser ses plaquettes, il avait fait une mimique de suicide. Bien que la blessure fût de tout point insignifiante, elle s’était effarée du risque encouru. Jamais jusqu’à ce soir-là elle n’avait vu à quel point l’anecdote était ridicule. En vrai gendelettre, le poète n’avait pas manqué de publier tout ceci, insultant la femme sans âme, au moyen de symboles infiniment obscurs et en vers de dix-huit syllabes. À ce moment-là, elle s’était crue dégoûtée de séduire ; et, justement, pour l’aider à se mettre en meilleure direction, elle avait rencontré Émile Barrois, le chimiste à la gloire européenne. Dès leur troisième causerie, elle s’était éprise des spéculations de l’esprit. La laideur tourmentée de ce grand vieillard, ses yeux extraordinaires, d’un bleu de fleur fraîche, où l’activité foudroyante du génie vibrait, son incomparable don verbal, tout de lui l’avait enchantée. Elle regrettait cette amitié perdue. Mais était-ce bien sa faute si entre eux les choses avaient mal tourné ? Qu’avait-elle fait ? Elle l’écoutait, captive de ses improvisations où les secrets de la nature semblaient souffler leur vaste vertige ; elle lui était une élève docile, rien de plus. Sur son conseil, elle lisait des traités de géologie pareils à de gigantesques contes de fées ; elle s’exaltait en rêves sidéraux, lorsque par les nuits claires ils allaient ensemble regarder le ciel dans les télescopes de l’Observatoire. Évidemment, elle exprimait le plaisir que lui donnait sa pensée, élargie par un tel maître, en phrases de câlinerie, et sa reconnaissance prenait des formes familières. Lorsqu’il avait plus magnifiquement parlé, il arrivait qu’elle lui tendît ses deux mains à baiser en lui disant : « Je vous aime ! » Mais c’était vrai ! Elle l’aimait d’une ten-