Page:Vontade - La Lueur sur la cime.pdf/143

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là dans toutes les langues, mais seulement sur de hauts personnages. Les historiettes du Quirinal et les incidents de la Hofburg s’y commentent entre gens renseignés. Les infamies du gouvernement français sont jugées comme elles le méritent, les soirs où personne de la place Beauvau ni du quai d’Orsay n’est là pour contredire. On y entend d’excellente musique, bien que monsieur et madame d’Audichamp soient doués l’un et l’autre d’une totale incapacité de percevoir les intentions de cette forme du bruit.

Pas plus que le service, qui se fait toujours à la française, le mobilier n’a subi l’action brouillonne de la mode. Les canapés en damas bouton d’or se souviennent d’avoir connu le contact de crinolines augustes. La pendule du grand salon — le bouquet de lis en bronze doré jaillissant de l’urne de Sèvres — évoque des images effacées et déjà historiques. Deux portraits de Winterhalter montrent M. d’Audichamp en grand uniforme et rayonnant d’une pompe amortie, et la comtesse, décolletée en baignoire. Les épaules tombantes, comme entraînées au poids de bracelets trop lourds pour tant d’idéale flexibilité, les cheveux bouffant en bandeaux, elle retient un châle de chantilly de ses mains croisées à la taille, avec un geste reposé de femme qu’une foncière distinction met à l’abri de toute possibilité d’être émue.

Il y a toujours des fleurs magnifiques dans les jardinières de faux Boule ; mais volontiers on les croirait artificielles, encore qu’elles ne le soient pas. Dans les silences, on entend, quand passe un omnibus, tinter les pendeloques des lustres, car l’hôtel est ancien et de douteuse solidité. Et ce bruit de cristal semble