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Page:Vontade - La Lueur sur la cime.pdf/155

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une odeur mêlée de homard, de faisan, de sauces et de citron errait dans l’air chaud. Il faisait très clair ; la lumière, patinant sur le vernis des natures mortes hollandaises, encastrées dans les boiseries, cachait les peintures. Les valets de pied, en poudre et en bas de soie, semblaient avoir une pitié hautaine et renseignée des gens qu’ils allaient servir.

Dès la première cuillerée du potage à la reine, madame d’Audichamp, qui s’entendait à mettre ses dîners en train, apostropha l’attaché autrichien : les journaux du matin annonçaient que le cher empereur avait la grippe ; était-ce vrai ? L’attaché dut en convenir. On rechercha l’âge exact du souverain. Le général de Troisbras savait de lui une anecdote de chasse et la dit. Puis, de l’air d’un examinateur qui regrette d’être certain que le candidat ne sera pas reçu, M. d’Audichamp somma le ministre qui était à la droite de la comtesse, de lui révéler, sans plus attendre, ce qui se passerait en Europe, à l’heure déplorable où la mort de l’empereur mettrait tant d’intérêts aux prises. Le ministre ayant fait là-dessus les phrases qu’il fallait, il se trouva un député royaliste pour n’être pas de son avis. Le marquis de Lurcelles jeta dans le débat des opinions subversives, qui firent monter le sang d’une généreuse indignation au visage de son beau-père. Mais tout s’arrangea, dans l’étonnement inquiet et admiratif que causa madame Steinweg en donnant, d’un ton détaché, un renseignement diplomatique, dont le caractère intime fit tomber le monocle de l’attaché autrichien. On passait les timbales de homards à la Poliakoff : la conversation générale était lancée.