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Page:Vontade - La Lueur sur la cime.pdf/261

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déplaçait les circonstances et maîtrisait les êtres ? Elle l’imaginait tenant la fortune et la gloire dans ses doigts durs, posés en ce moment sur la tête de bronze d’une statuette qu’il palpait nerveusement. Elle était remuée par cette révélation de lui, si différent de ceux au milieu desquels la molle monotonie de ses sensations avait coulé. Différent aussi d’Erik Hansen qui, un moment, lui avait paru détenir dans le vaste champ de sa conscience un si large fragment de l’idéal humain. Erik rêvait, celui-ci agissait ; son but, c’était lui-même ; mais, s’il se fût acharné au bonheur de l’humanité, sans doute eût-il apporté à l’œuvre ce pouvoir de réussir qui détruit l’obstacle. Jacqueline se sentit en infériorité devant Marken et dit, d’une voix moqueuse :

— En somme, vous êtes le dernier des romantiques. Je me demande si vous vous en doutez.

Il ôta sa main de la tête de la statue et fit un geste qui moquait la phrase.

— Ah ! pas du tout, s’écria-t-il, à aucun degré ! Mais vous voulez peut-être dire seulement que cette confession était de mauvais goût ? J’ai un peu déclamé, c’est vrai ; j’étais ému ; et puis, si j’ai eu moins de simplicité, plus d’emphase que ne le comportent les conversations de salon, c’est qu’à tout prendre, je ne suis pas un mondain égalisé par le frottement des conventions. À l’ordinaire, vous me rendrez cette justice, je préfère les attitudes du sang-froid qui me paraissent d’un meilleur style. Mais de sang-froid je n’aurais pas pu vous dire tout cela ; il m’a fallu, pour en trouver le courage, me résigner à être vraiment tel que je suis : un excessif qui met de la passion dans tout. Je veux