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Page:Vontade - La Lueur sur la cime.pdf/263

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répondre à l’une des plus grandes émotions de ma vie… Avez-vous aimé la reprise des Français ? N’est-ce pas que Le Bargy est incomparable ? Quelle intelligence des intentions du rôle ! comme il nourrit ses silences de pensées et de sensations ! Le silence, c’est la pierre de touche du talent des comédiens, n’est-ce pas votre avis ?

— Oui, certainement. J’aime beaucoup Le Bargy ; mais…

— Je me demande souvent si le théâtre, au lieu d’être un art grossier comme le prétendent les purs littérateurs, n’est pas le premier de tous. Les autres arts tendent à l’objectivation de la personnalité ; il faut s’extérioriser pour entrer dans la beauté d’un tableau, par exemple. Les jeux de la scène, au contraire, nous refoulent en nous-mêmes ; c’est à l’intérieur qu’a lieu l’échange qui se fait entre l’œuvre et la sensibilité. On ne va pas vivre sur le théâtre les personnages des pièces, ce sont eux qui pénètrent dans le spectateur et chacun se mêle à un instinct qui lui correspond et qu’il dilate. Le théâtre exalte le sentiment du moi. Le drame, c’est nous-mêmes, notre passé, notre avenir, les possibilités de notre être actuel, finis, limités, mis au point, de façon que nous en puissions saisir toute la forme. Nous nous adaptons et nous réagissons comme sous l’action de la réalité, mais plus savoureusement parce que nous sommes resserrés par le temps. Nous avons une conscience plus précise de nous-mêmes, et cela est magnifique et délicieux. Je crois que c’est à cause de cela que je ne puis souffrir les pièces gaies… Le comique naît de la mauvaise attitude, inadéquate, incompréhensive des personnages.