Aller au contenu

Page:Vontade - La Lueur sur la cime.pdf/290

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

contrer chez moi… Mais ça t’ennuie peut-être de venir chez moi ?

— Non. Et je ne suis pas fâchée d’avoir l’occasion de te le dire : si je n’y vais plus guère, c’est pour m’être aperçue que, lorsque j’arrivais à l’improviste, je t’étais extrêmement désagréable.

— Mais non ! Quelle idée ! Qu’as-tu ce soir à me tourmenter ? Tu sais bien les sentiments que j’ai pour toi… Si j’ai des façons dures, ce n’est pas ma faute, Pardonne-moi ! C’est si lourd, la vie, si long ! J’en ai tellement assez !

D’un mouvement brusque et souple, Jacqueline se leva, vint prendre mademoiselle Barozzi par la taille et l’embrassa en disant, avec une tendresse câline et grave :

— Pauvre Léo… chère Léo… ma Léo.

La détresse inouïe qui avait éclaté dans les dernières paroles de l’énergique fille retentissait comme un écho effrayant dans l’inquiétude que cette journée disparate et agitée laissait en elle.

Les deux femmes restèrent ainsi un moment, sans plus parler, puis Jacqueline dénoua ses bras des épaules de Léonora. Le valet de pied entrait, portant sur un plateau le journal du soir ; madame des Moustiers le prit sans le regarder et le jeta sur le petit bureau en bois de violette placé en face de sa chaise longue.

— Chère, dit-elle lentement, n’y a-t-il ni joie, ni paix même, pour personne ? Est-ce donc aussi vain de se renoncer, comme tu fais, que de se rechercher avidement à travers les autres, comme j’ai fait ?… Et alors, si, soit dans la chair qui souffre la faim, le froid, la maladie, soit dans l’esprit qui souffre le doute