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Page:Vontade - La Lueur sur la cime.pdf/30

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madame de Lancerault. Elle ne pouvait ni ne voulait détacher d’elle sa pensée, car il lui paraissait qu’à la comprendre enfin elle trouverait l’explication du trouble singulier que venaient de mettre en elle la musique et la rencontre de Léonora. Cet étourdissant conflit des mémoires anciennes et de l’aspiration vague et puissante vers un avenir sans forme définie, lui donnait l’impression d’être habitée par une âme inconnue qui voulait d’elle des choses impossibles à deviner. Rejetée vers le souvenir de sa mère, y cherchant un point d’appui, elle découvrait un sens émouvant à cette personnalité discrète, élégante de façons et de sentiment, et s’accusait de l’avoir méconnue. Que de fois elle s’était irritée de trouver trop différent du sien ce caractère uni. Elle avait dédaigneusement jugé le formalisme étroit de la mondaine éprise de ses devoirs, souvent elle s’était dit qu’il y avait de l’impuissance dans son humeur sans éclats ni élans. Elle en qui palpitait tant de vie désireuse s’indignait de n’apercevoir jamais les lassitudes et les mélancolies des cœurs ardents chez cette femme, incapable d’abandon. Obstinée mais très douce, madame de Lancerault était péremptoire dans l’étroit domaine où la cantonnait le despotisme déférent de son mari. Elle se montrait serve de la tradition, s’affirmait l’apôtre fervente des médiocrités du sentiment, et condamnait toute ambition, parce que, disait-elle, chacun doit être satisfait de la place qu’il occupe et borner son effort à l’embellir sans la quitter. Elle pensait que tout malheur dignement supporté se change en joie fière, et sa patience lui faisait un regard éloquent et pur. Certes elle avait dû avoir le vrai sens de sa vie, car autour