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Page:Vontade - La Lueur sur la cime.pdf/334

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la conversation était moins haute, s’écartait pour laisser passer le ronron vibrant d’une automobile, aussitôt disparue. Dehors, la nuit, l’inconnu, le mystère des poSsibilités et, dans la cage de verre aigre de lueurs, cette musique qui incitait, promettait, et révélait d’avance les futurs regrets…

— Écoutez, disait la petite madame de Lurcelles, je trouve qu’il commencerait à être temps de prendre une bonne décision : ou renonçons à débiner les gens que nous recevons, ou renonçons à les recevoir ; car enfin, c’est curieux tout de même de si bien accueillir ceux que nous nous étonnons de voir admettre ailleurs !

— Ma chère, fit madame d’Audichamp, tu as une âme de janseniste, on te connaît…

— Mais c’est surtout une loi de prudence que voudrait établir madame de Lurcelles, dit Marken en versant du champagne dans la coupe de madame d’Audichamp. C’est horriblement dangereux de fréquenter affectueusement les gens qu’on méprise. Supposez qu’il s’en trouve quelqu’un que le snobisme n’engage pas à supporter tout de vous, et qu’ayant eu pour seul espoir de conquérir votre sympathie il découvre qu’il n’a gagné que votre dédain… Si un de ces individus que vous admettez pour les railler ensuite avec un si terrible esprit, s’apercevait de n’avoir été toléré qu’à titre d’instrument, savez-vous qu’il pourrait avoir la tentation de se venger ?

— Vous avez l’air de raconter l’histoire d’une de vos connaissances, fit M. de Lurcelles.

— On raconte toujours l’histoire de quelqu’un, quoi qu’on dise, répondit légèrement Marken, car tout est déjà arrivé et tant de fois !