Page:Vontade - La Lueur sur la cime.pdf/386

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n’avons plus la finesse, la patience, la discrétion, le sens intérieur enfin, qu’il faut à ces œuvres qui ressemblent à des causeries alternées où le cœur et l’esprit se racontent, suspendent leurs confidences pour écouter une réponse délicate ou moqueuse, la reprennent entre le sourire et la mélancolie. Maintenant, quand on écrit un quatuor, on y fourre des effets d’orchestre, on pousse à la sonorité, on est bête, enfin ; moi, du moins ! Mais je fais pire encore.

— Quoi donc ?

— Eh bien ! vraiment, je rougis de l’avouer — enfin… J’ai commencé un opéra ! Ah ! ne me dis pas ce que tu penses de ça, ce n’est pas la peine ! Je me suis tout dit. Mais que veux-tu ? je ne peux pas m’en empêcher. J’ai une espèce d’inquiétude, de bouillonnement, qui ne se calme qu’en composant… Mon poème est très beau : une légende norvégienne ; c’est Erik qui me l’a rapportée. Il y a de la douleur là dedans, tant qu’on en veut ; c’est très musical, la douleur… Je te raconterai. Je travaille la nuit. C’est pour ça que j’ai cet air vanné. Ça me détraque, mais tant pis !… J’ai de bons moments. Les jours de pluie, ou quand j’ai la migraine et la disposition de mon sens critique, je me rends compte que c’est très mauvais ; mais, pendant que je travaille, je ne sens plus que la joie de me délivrer de toute cette musique qui tourne dans ma tête. Tu m’as mise bien en colère, l’été dernier, quand tu m’as dit que j’étais amoureuse d’Erik ; mais, depuis, j’ai compris ce qui te donnait cette idée. Il y avait en moi quelque chose d’incompréhensible, de fou ; c’était ça… pas autre chose, je t’assure !

— Mais, je te crois, je te crois ! C’est assez naturel,