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Page:Vontade - La Lueur sur la cime.pdf/435

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les revendications, les colères, toutes ces déclamations qui promettent le bonheur pour demain, l’audace croissante des pensées et des espoirs, tout, jusqu’aux crimes passionnels si nombreux, exprime moins un formidable malaise qu’une formidable volonté prête à prendre conscience d’elle-même. Le niveau de la passion humaine s’élève, n’en doutez pas. Chacun veut sentir, aimer, jouir, vivre enfin, à tout prix. Bientôt personne n’acceptera plus la contrainte du destin… Tenez, ces gens que nous trouvons absurdes par défaut de critique, les anarchistes, avec leur froide ardeur et leur courage cruel, ne pensez-vous pas qu’ils soient des témoignages singulièrement forts de l’état de passion où est ce temps-ci ? Vous avez lu peut-être, mon cher maître, vous qui apportez à tout une si pénétrante attention, la mort de celui qui, l’an dernier, a tué un souverain ? Il s’est suicidé dans son cachot. Mais ce que vous ne savez pas sans doute, c’est qu’il avait accepté de commettre ce crime à la place d’un de ses amis que le sort avait désigné. Celui-là, – il s’appelait Erik Hansen, — s’est tiré deux balles dans la poitrine en apprenant la mort de l’autre. Je le connaissais un peu, et, ce matin même, j’ai accompagné son cercueil à Montmartre… Eh bien ! ne croyez-vous pas que des gens qui font des actes pareils — un qui se dévoue et accepte de commettre un crime pour l’éviter à son ami, l’autre qui a un tel sentiment de la responsabilité qu’il se fait justice en se tuant — soient des passionnés et de la plus haute qualité ?

Jacqueline s’appuya fortement au dossier de sa chaise. André la regardait de loin, d’un air d’interrogation. Les propos se croisaient :